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le château vert

— Enfin, d’où sors-tu ? lui demanda sa femme.

Il parcourut le boudoir de long en large d’un pas saccadé ; et pourtant il répondit sur un ton de bonne humeur :

— Je me suis encore arrêté au Cercle pour savoir si l’on parle toujours du vol de la cassette. On n’en parle plus du tout. Est-ce oublié ? Je le pense.

— Qu’on dise ce qu’on voudra, mon père. Nous savons que les gens ont beaucoup de goût pour la médisance. Quant à moi, rien ne m’empêchera d’épouser Mariette, qui est aussi belle qu’instruite et distinguée.

— Parbleu ! conclut Mme Ravin, aisément satisfaite.

Ravin regardait le feu de bois dansant entre les parois de la cheminée de marbre blanc. Il s’était promis de ne pas révéler la visite qu’il venait de rendre à Barrière, et, se félicitant de son courage, il admirait en silence le courage plus difficile de Barrière, qui n’opposait au démon de l’injure que son dédain.

Après dîner, Philippe s’en alla chez les Barrière faire sa cour à Mariette. On le recevait à la bonne franquette dans la salle à manger, dont un côté, qui était un vitrage colorié, donnait sur le jardin… Des tableaux, nature morte, marines, scènes de chasse et de pêche, décoraient les murs ; un paillasson d’osier recouvrait le tapis écarlate.

Barrière profitait de cette heure de repos pour lire son journal ; sa femme s’occupait à des travaux d’aiguille. Mais que de fois elle levait les yeux vers les deux enfants qui parlaient bas ou riaient, discrètement ! D’ailleurs, Mariette ne restait pas longtemps inactive. La bonne apportait sur un plateau du tilleul, des tasses, la bouilloire, aussi bien pour les parents de Mariette que pour elle et pour Philippe, lequel, attentif aux soins de sa santé, avait préféré une infusion de tilleul au café que, selon l’usage des populations du littoral, on lui avait offert le premier soir. Ce soir-là, Philippe eut vite la certitude, comme la veille, que Mariette n’avait encore rien appris des médisances de la ville. Cependant, Barrière en avait soufflé un mot à sa femme, afin qu’elle ne fût pas surprise, blessée en son âme simple et pure, dans le cas où, sur le marché, on en clabauderait auprès d’elle. Quant à sa fille, qui ne sortait guère de la maison que pour aller à l’église, il ne supposait pas qu’un lâche, un goujat, oserait jamais l’effleurer d’une insolence.

— Hélas ! le dimanche matin, Mariette, se rendant à