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le château vert

— C’est bizarre, j’ai du chagrin pour elle. Pour ses parents également, s’ils étaient convaincus que vous épouseriez leur Thérèse. Il ne faut pas leur en vouloir de leur bouderie. Il faut savoir les comprendre.

— Personne ne leur en veut. Je suis sûr d’ailleurs qu’ils reviendront chez moi.

À une trentaine de pas, Barrière s’était arrêté, pour attendre les fiancés, qui se hâtèrent. Et désignant là-bas, sur la colline de lave, au-dessus du poste de la douane, un gîte de planches goudronnées, qui étincelait au soleil, il plaisanta :

— Tenez, les enfants !… C’est là-haut qu’habite ce fainéant de Micquemic. S’il m’aperçoit, il dégringolera bien vite de son rocher.

— Il paraît que vous l’avez beaucoup connu ?

— Oui, mon fils, du temps que j’étais maçon, le bon temps, puisqu’on était jeune. Ce qu’il était déjà cancanier ! Et chipardeur ! En outre, si la Providence ne l’avait pas fait naître dans un pays de vignes, je ne sais pas comment il aurait vécu.

— Moi, je le connais à peine. Je l’ai aperçu deux ou trois fois à la porte d’un cabaret.

— Naturellement. Il a toujours soif. Et il a tout un arsenal de prétextes pour vous harceler de ses requêtes. J’ai fini par le chasser. Mais il n’a point de vergogne.

Ils étaient parvenus à la pointe du Cap. La vague y roule sans fin des galets en un bruit de castagnettes sur le sable, au pied des trois maisons qui, loin des ambitions et des misères du monde, vivent heureuses. C’était l’heure du repos pour les pêcheurs qui, le soir, s’en vont au large et n’en reviennent qu’au matin. Devant l’une de ces maisons, un vieux pêcheur qui, sur les flottes de l’État, avait, pendant plus de vingt ans, parcouru toutes les mers, ravaudait ses filets, que le poisson chaque nuit déchire. Devant une autre, une jeune femme allaitait son petit. Devant la troisième, une aïeule pelait des pommes de terre.

Quelle paix enveloppait l’humble extrémité de cette terre ! Quelle généreuse lumière ! Là-bas, à l’horizon de la mer, l’azur du ciel touchait délicatement les eaux bleues. Ici, vers l’orient, un balancement d’écume frangeait les vingt kilomètres d’une baie, au centre de laquelle, dans le sable, verdoie l’oasis des Onglous, ses roseaux et ses vignes, et la baie gracieuse s’en va là-bas, parmi les