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le château vert

— Notre héritière n’est pas contente, plaisanta Benoît.

— Tu as été dur. Que les gens s’occupent de leurs affaires, non des nôtres. Tant que les Ravin ne se fâchent pas !

— Ils sont trop polis pour se fâcher. Et ils ne soupçonnent rien de la liaison qui peut se tramer entre les deux enfants.

— Mais il n’y a rien !… Ah ! comme tu te montes la tête !…

Irène lança un regard de reproche à son mari. Celui-ci, faiblissant aussitôt, se gratta le nez et dit :

— Tu n’as peut-être pas tort. Té ! Je m’en vais surveiller mes marmitons.

Tandis que Benoît passait dans la cuisine, Irène, nonchalante, le remplaça au petit bureau, afin d’établir quelques notes pour sa clientèle.

Le Château Vert était une volumineuse bâtisse, ici en bois, là en briques, construite par morceaux, au fur et à mesure que se développait la prospérité du grau d’Agde. Au rez-de-chaussée, la salle à manger, deux salons, un café, la cuisine et les différentes pièces d’un nombreux ménage. Sur l’un des côtés de ce bizarre caravansérail, au rez-de-chaussée, s’étalait une terrasse très gaie, encadrée, du moins à demi, de fines lamelles à jour où grimpaient les lianes d’une vigne vierge. Le bois des façades était peint en vert, ce qui, dans le grand paysage de lumière, de sables argentés et d’eaux, prêtait à l’énorme bâtisse une sorte de rusticité malicieuse. Un bosquet de vieux pins descendait vers la plage, qui depuis l’Hérault jusqu’aux laves du Cap allonge une lieue de sables. Aucun endroit du monde n’eût offert plus de magnificence aux Jalade. Non qu’ils en sentissent la beauté, le charme d’ingénuité primitive. Mais ils lui avaient confié leurs rêves de fortune.

Devant le château, que suivaient des auberges et d’humbles gîtes de baigneurs, l’Hérault, tel un fleuve majestueux, roulait ses ondes vertes, et là-bas, sur la rive opposée, s’étendait à perte de vue une lande à la brousse sauvage. À deux cents mètres du château, le fleuve s’abandonnait aux remous de la mer avide. Sur la plage campaient en grouillantes tribus, à l’abri de leurs voitures et de leurs charrettes, des paysans du littoral : campement d’ancien temps, auquel les Jalade ne s’intéressaient pas plus qu’ils n’étaient tentés d’aller en promenade