Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/163

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Nous pensions tous comme lui. Mais où aller ?… Nelson voulait nous conduire dans l’Ohio, où la population américaine, composée d’éléments tout nouveaux, ne tient aucun compte des antécédents de la vie et des traditions de famille. Il se sentait d’ailleurs attiré vers ce pays par la fécondité de son sol et le génie industriel de ses habitants. Mais comme nous allions nous arrêter à ce projet, notre nouvel hôte, Lewis Williams, chez lequel son frère nous avait conduits, nous apprit que la législature de l’Ohio venait de rendre un décret pour interdire l’entrée de l’État à tous les gens de couleur.

Ce nouvel acte de tyrannie, tant de malheurs accumulés sur nos têtes, réveillèrent dans mon âme les haines qu’une ivresse passagère y avait endormies.

Je dis à Marie : « Ma bien-aimée, fuyons une société qui nous persécute ; le bonheur est trop difficile parmi les méchants ; mais tous les hommes sont méchants pour nous ; crois-moi, renonçons à ce monde cruel… voudrais-tu me suivre au désert ? L’Ouest des États-Unis contient d’immenses contrées, où les Européens n’ont jamais pénétré ; c’est là qu’est notre asile… »

Quel est l’homme qui, sous le charme d’une douce atmosphère, traversant une belle solitude, au milieu d’une forêt sombre et sauvage, où l’eau vive court sous la feuillée tremblante ; où le soleil se joue sur les cimes que déplace le vent ; où tout est recueillement et mystère ; où la nature s’empare de l’âme par le calme, et des sens par une voluptueuse fraîcheur ; quel est celui, dis-je, qui, sous l’empire de ces impressions, n’a pas rêvé le bonheur dans un établissement éloigné du monde, et n’a, sur les ailes de son imagination, transporté tout-à-coup dans ce lieu solitaire une personne chérie, avec laquelle il oubliera le reste des hommes, au sein de toutes les délices de l’amour, et de tous les enchantements de la nature ?

Ceux auxquels de riantes illusions n’ont pas inspiré ce beau rêve l’ont peut-être fait dans ces moments de triste réalité où l’ennui, le dégoût et la misère donnent au malheureux l’espoir de trouver le bonheur partout où le monde n’est pas.