Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/186

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À notre arrivée, nos chevaux furent abandonnés dans une étroite enceinte voisine de l’habitation. Notre hôte s’empressa de faucher leur nourriture dans un champ d’avoine sur pied ; puis, prenant une hache, il coupa dans la forêt un arbre, dont il nous fit du feu pour nous préserver des fraîcheurs de la nuit. Les pièces de bois, dont la cabane était formée, laissaient l’air extérieur pénétrer par mille ouvertures, et l’humidité du rivage se faisait déjà sentir. Bientôt une flamme pétillante, nourrie de pommes de pins, éclaira notre obscure demeure, et nous fit voir un réduit étroit, mais remarquable par sa propreté. Une femme, au visage pâle et maigre, parut ; c’était celle de notre hôte ; autour d’elle étaient groupés plusieurs enfants en bas âge. Une image grossièrement peinte, représentant le général Washington, était suspendue au-dessus de la cheminée. Aux États-Unis, Washington est le dieu de la chaumière comme celui du Capitole !… Sur une table placée au centre du logis, on voyait disséminées plusieurs feuilles d’un journal de New-York, de date assez récente. Tout, chez nos hôtes, annonçait plus de bien-être matériel que de bonheur ; leurs manières polies sans élégance, leur langage correct sans ornement, leurs connaissances exactes, mais bornées, tout prouvait qu’ils n’étaient pas nés au désert, et qu’ils appartenaient à la classe moyenne d’une société civilisée. Leur seul but, leur idée fixe était de faire fortune ; ils étaient comme tous les Américains.

La femme nous prépara un repas modeste, et le thé nous fut servi sous la cabane du désert. Cette situation singulière n’eût point été sans charmes pour moi, si Marie eût pu en jouir elle-même ; mais elle était souffrante ; une longue journée de route l’avait affaiblie ; elle ne prit aucune part au repas qui devait réparer ses forces. Je donnai tous mes soins à lui préparer un lieu de repos ; une peau de buffle lui servit de lit ; je couvris ses pieds de mon manteau… alors, accablée de sommeil, Marie prit une de mes mains en gage de sécurité, et, s’étant penchée sur moi, elle s’endormit. Bientôt tout le monde reposa en silence autour de moi ; seul je veillais attentif au dedans, et épiant les moindres bruits du dehors ; veille imposante au fond de la forêt sauvage, dans la cabane solitaire, où brillaient quelques flammes vacillantes, seul