Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/227

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Alors l’idée du monde se représenta à mon esprit. Depuis qu’un coup fatal avait brisé ma vie, j’avais beaucoup réfléchi aux erreurs de ma jeunesse, je sentais combien il y avait eu de chimères dans mes premiers desseins. J’avais autrefois jugé le monde à travers des prestiges qui s’étaient évanouis… les rêves de mon jeune âge étaient toujours présents à mon esprit, mais ma raison les combattait ; je comprenais que, pour être propre à la société, il ne fallait pas envisager les choses du point de vue immense et sans limite où je m’étais placé d’abord ; qu’il valait mieux ne voir qu’un coin étroit du monde que de jeter sur l’ensemble des regards vagues et confus ; qu’enfin l’intelligence et la puissance humaine ont des bornes qu’elles ne peuvent tenter de franchir, sous peine de devenir stériles.

Délivré des illusions qui m’avaient égaré dans ma route, ne pouvais-je pas retourner parmi les hommes ?… Je ne m’abusais plus sur la somme de bonheur que le monde peut offrir… d’ailleurs, je repoussais loin de moi la pensée des félicités que j’avais autrefois rêvées ; mais je sentais en moi-même tous les mouvements d’une âme droite et pure. « Pourquoi, me disais-je, ne trouverais-je pas, dans mes rapports avec mes semblables, un peu de ce bonheur simple et tranquille que donne une conscience honnête ? Ne dois-je pas rencontrer des sympathies consolantes partout où il se trouve des hommes vertueux ? »

Dans cet état de mon âme je serais sans doute revenu en Europe si, à l’époque même où je fus atteint en Amérique d’une infortune affreuse, un autre malheur non moins cruel, arrivé dans ma famille, n’eût combattu dans mon esprit l’idée du retour en France, par la crainte de nouvelles angoisses ; j’appris que mon père n’était plus.

Alors je me rappelai Nelson : non loin de ma demeure, ce digne ministre de l’église presbytérienne travaillait avec ardeur à l’instruction religieuse des Indiens… Je pensai que je pourrais associer mes efforts aux siens, et, de concert avec lui, parvenir à la civilisation des Ottawas et des Cherokis.

Ayant rejoint le père de Marie, j’entrepris l’exécution de mon projet, je tentai d’enseigner aux indiens les principes qui sont la base de toutes les sociétés civilisées ; je leur exposai