Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/376

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(they make their duty). Ceci explique pourquoi les domestiques blancs, en Amérique, assistent leurs maîtres et ne les servent pas, dans l’acception de la domesticité ordinaire. C’est aussi une des raisons de la manière dont on fait le commerce aux États-Unis : le marchand américain gagne certainement le plus qu’il peut ; je crois même qu’il trompe souvent l’acheteur ; mais, en aucun cas, il ne voudrait recevoir un denier de plus qu’il ne demande, fût-il le plus misérable de tous les aubergistes. Ainsi font l’ouvrier qu’on occupe, le commissionnaire qu’on emploie, le domestique par lequel on est servi dans un hôtel ; tous demandent leur salaire légitime, le prix de leur travail, et rien au-delà. Accepter plus qu’il n’est dû, c’est recevoir l’aumône, et conséquemment faire acte d’inférieur. On comprend maintenant pourquoi le président des États-Unis reçoit à Washington sur le pied de l’égalité la plus parfaite ; le premier venu qui se présente pour lui parler commence par lui donner une poignée de main, il agit de même avec tous ses concitoyens lorsqu’il parcourt les différents États de l’Union. J’ai souvent entendu des hommes placés dans des postes éminents, tels que ceux de chancelier, gouverneur, secrétaire d’État, parler, comme d’une chose toute naturelle, de leur frère épicier, de leur cousin le marchand, etc.

Pour achever de prouver à quel point l’égalité pratique existe aux États-Unis, je ne citerai que deux faits.

Un jour comme j’allais visiter la prison d’un comté de l’État de New-York, accompagné du district attorney (c’est le magistrat qui remplit les fonctions du ministère public), celui-ci, chemin faisant, me raconta les circonstances fort graves d’un crime dont, me dit-il, j’allais voir l’auteur ; il me peignit l’attentat sous les couleurs les plus sombres, ajoutant que c’était lui-même qui avait fait condamner le coupable. J’arrivai à la prison plein des plus sinistres impressions, et, à l’aspect du criminel, j’éprouvais une sorte d’horreur, quand je vis le district attorney s’approcher du condamné. et lui donner une poignée de main.

Une autre fois, dans un salon brillant où se trouvait réunie la meilleure compagnie de l’une des plus grandes villes de l’Union, je fus présenté à un monsieur fort bien mis, avec lequel je m’entretins quelques instants ; bientôt après je demandai quel était ce personnage : C’est, me dit-on un fort galant homme, le shérif du comté. Je voulus savoir ce que c’était que le shérif, et j’appris que c’était le bourreau.[1]

  1. À la vérité, les fonctions d’exécuteur des hautes-œuvres n’entraînent, point, aux États-Unis, la même infamie que chez nous : comme on y respecte plus les lois, on y est plus indulgent pour celui qui les met en action ; on s’efforce d’ailleurs de relever son ministère, en lui attribuant d’autres fonctions importantes et qui n’ont rien d’ignoble : le shérif est le premier agent de la force publique.