Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/49

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point la puissance. Il y avait dans sa réserve de l’humilité et presque de l’abaissement ; et si l’innocence n’eût été marquée sur son front, on eût pensé que le travail intérieur d’un remords attaché à sa conscience lui donnait un sentiment intime de dégradation.

Au sortir des salons américains, j’étais si rassasié de coquetterie qu’une femme simple et sans calcul fut habile à me charmer. À mes yeux son plus grand art de me plaire était de n’en point montrer le désir ; bientôt mon attention éveillée découvrit en elle des talents et des vertus si rares que je ne pus me rendre compte de mon premier sentiment d’indifférence, et, en trouvant sous le toit de mon hôte ce trésor que j’avais failli délaisser, je pris en pitié la prudence de l’homme qui souvent poursuit au loin le bonheur dont il a près de lui la source.

Nelson et son fils donnaient toutes les heures du jour aux affaires ; Marie les consacrait à des soins secrets dont je fus long-temps à pénétrer le mystère ; le soir, à l’heure du thé, nous étions toujours réunis ; alors Nelson nous lisait avec emphase les articles de journal dans lesquels l’Amérique était louée sans mesure ; je l’entendais répéter chaque jour que le général Jackson était le plus grand homme du siècle, New-York la plus belle ville du monde, le Capitole[1] le plus magnifique palais de l’univers, les Américains le premier peuple de la terre. À force de lire ces exagérations, il avait fini par y croire *. Tout Américain a une infinité de flatteurs qu’il écoute ; il est flatté, parce qu’il est le souverain ; il prend toutes les flatteries, parce qu’il est peuple. Ses courtisans annuels sont ceux qui, à l’époque des élections, l’encensent pour obtenir ses suffrages et des places ; ses courtisans quotidiens sont les journaux qui, pour gagner des abonnés et de l’argent, lui débitent chaque matin les plus grossières adulations. J’eus plus d’une fois, dans le cours de nos entretiens, l’occasion de reconnaître qu’un Américain, si forte que soit la louange donnée à son pays, n’en est jamais pleinement satisfait ; à ses yeux, toute approbation mesurée est une criti-

  1. Palais où se tiennent les séances du congrès à Washington.