Page:Beaunier - La Poésie nouvelle, 1902.djvu/179

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de puissance. Cet amour de la vie, de la nature, il le pousse à l’extrême et cette joie même de son imagination affriandée a quelque chose de tumultueux, d’exubérant, d’intransigeant aussi. Verhaeren est tout entier à l’idéal qu’il a choisi, et il n’en admet pas d’autre : élégance, délicatesse lui sont odieuses et il n’a que du mépris pour les fades paysanneries de Greuze. Aux petits personnages « si proprets dans leur mise et si roses » de ce peintre, il oppose de vrais hommes de labours, tels qu’ils sont, « noirs, grossiers, bestiaux », et il se plaît à leur bestialité, à leur sauvagerie ; il les aime d’être instinctifs, prompts à la révolte et, en fête, vite allumés à la chair grasse des filles.

Cette poésie est réaliste, avec un peu d’affectation même. Dans les années quatre-vingts, en Belgique, il fallait réagir contre la littérature académique, qui était fade principalement. À cette fadeur, Verhaeren opposa toute la truculence de son génie…

Certains tableaux des Flamandes sont d’une éclatante couleur. Voici des groupes de servantes en train de tasser des sacs d’engrais : mouchoirs rouges sur la tête, jupons bleus, sabots noirs, elles se baissent, leurs croupes semblent surgir du sol… Voici, au cabaret, les buveurs attablés, gros, mentons gluants, gilets ouverts, la bouche rieuse, le ventre lourd… Le dessin est presque toujours précis ; rien de flou, d’incertain, tous les détails sont en lumière. Les paysages sont clairs et charmants. C’est la plaine, de lieue en lieue, jusqu’à l’horizon, diversement nuancée et que traverse le cours vermeil de l’Escaut ; les bateaux cinglent,