Page:Beaunier - La Poésie nouvelle, 1902.djvu/183

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des Flamandes. C’était alors la joie de vivre qui l’enchantait, une sorte de félicité presque physique et que nulle pensée ne troublait, le bonheur de participer à l’épanouissement général dès êtres et des choses sur le sol fertile, sous le bon soleil. La pensée est venue ; n’y a-t-il pas en elle quelque chose de meurtrier ? Elle tue toute joie, elle flétrit toute félicité. Sournoise, elle s’infiltre ; elle est la mort au bonheur !… Et maintenant, c’est l’atroce souffrance de la pensée, martyre d’elle-même, que nous trouvons en cette poésie tout autre. Le poète s’est écarté de la Nature, de la lumière. À travers les vitres closes de sa chambre de malade, il voit la ville s’éteindre et, dans l’obscurité croissante du crépuscule, les façades grandir, les porches béants s’emplir d’ombre. Aux alentours, le silence se fait, et, sous le front brûlant du rêveur las, passe la vision pathétique du bonheur fini :

Vides, les îles d’or, là-bas, dans l’or des brumes,
Où les rêves, assis sous leur manteau vermeil,
Avec de longs doigts d’or effeuillaient aux écumes
Les ors silencieux qui pleuvaient du soleil.

Cassés, les mâts d’orgueil ; flasques, les grandes voiles !
Laissez la barque aller et s’éteindre les ports ;
Les phares ne tendront plus vers les grandes étoiles
Leurs bras immensément en feu ; — les feux sont morts !…


Dehors, des gens vont et viennent, et chantent. Leurs complaintes sont plus tristes, avec leurs mots en panne, leur rythme en déroute… Des cloches tintent, des portes grincent ; des meuglements, des bruits d’étables s’éveillent, au-delà des vergers, dans la nuit, évocateurs de toute « la douleur des campagnes ». Le paysage de-