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L’EXPIATRICE

Édouard recula de surprise quand, s’étant introduit dans le salon à l’heure accoutumée, il apprit de ses cousines qu’elles venaient de mettre Paule au lit et après quelle inquiétante aventure.

— Serait-ce… de ma faute ? balbutia-t-il.

— Comment, votre faute ? releva Noëlla, ses grands yeux fixés sur lui.

— Je l’ai peut-être trop poussée… Habitué aux garçons… Et la voyant réussir…

— N’allez pas vous faire des idées, Édouard, conseilla Raymonde. Paule n’est pas forte et cela date de loin. Nous aurions dû voir le médecin plus tôt et lui faire prescrire quelque tonique, quelque régime de vie. Enfin, le docteur Villeneuve doit venir demain avant-midi et j’espère que les accidents comme celui de ce soir ne se renouvelleront plus. Elle nous a avoué qu’elle avait fait à pied le trajet de la rue Fullum jusqu’ici. Cette imprudence suffisait à l’épuiser. Puisque vous voilà rendu, Édouard, vous passez la veillée avec nous ?…

Il déclina l’invitation, sous le prétexte de ses cours du lendemain à préparer, mais Raymonde se dit qu’il devait refuser par simple besoin de contredire, car il s’éloignait en hésitant et son visage demeurait préoccupé.

Tout à coup, elle le vit revenir vers la table et leur tendre le cahier qu’il tenait à la main.

— Auriez-vous, demanda-t-il, l’obligeance de remettre ceci à Mlle Paule ?

— C’est pressé, Édouard ? s’enquit Noëlla :

Il tressaillit et reprit aussitôt son bien. Puis, souriant malgré lui ;

— C’est une distraction murmura-t-il ; presque une absence, car le thème n’est pas corrigé. J’ai peut-être, ajouta-t-il, autant besoin de repos que mon élève ce qui m’excusera deux fois de vous fausser compagnie. M. Rastel est-il sorti ?

— Il a quelqu’un à son cabinet. Un pensionnaire, je pense. Allons, bonsoir Édouard, puisque votre décision est sans appel…

Il s’en alla lentement et, sur le seuil, il hésita. Devait-il prendre à droite ou à gauche, étant donné que par bienveillance de parenté, tous les chemins lui étaient permis, à lui et à son frère ? Des multiples avantages que lui assurait cette maison, le droit de varier sa route lui représentait l’un des plus précieux, car il détestait en bloc tous les biens, même ceux très doux que crée l’habitude.

Il s’ensuivait, ce soir, parce que cette affaire d’évanouissement l’avait démoralisé, une hésitation assez ridicule, vu l’insignifiance de l’enjeu. Mécontent, il coupa court, en tournant brusquement à droite, ce qui l’amena au petit escalier interdit aux pensionnaires.

Mais en entrant dans sa chambre, en revoyant cette grande pièce connue et apprise sur le bout de ses doigts, depuis six années qu’il l’habitait bêtement, un haut le cœur le saisit et toute sa solitude s’abattit sur ses épaules. La désertion lui avait été douce, chaque soir. Pourquoi le destin se mêlait-il de brouiller les cartes ? La petite Paule, où en était-elle ?…

Il ne pouvait raisonnablement s’inquiéter d’un évanouissement, surtout provoqué par une fatigue extraordinaire. Non, il n’avait point à s’inquiéter. Mais ce médecin que bien vite, on avait prévenu, quels ordres dicterait-il, dans son omnipotence ? D’instinct, Édouard les haïssait.

Cet après-midi, il avait fait le guet pendant au moins trente minutes, alors que la cruelle enfant se payait la fantaisie funeste de parcourir la route à pied. C’est qu’il devait lui remettre une lettre, la première qu’il eût osé lui écrire. Trompé dans son attente et nourrissant le superbe espoir de se reprendre à la leçon, il l’avait logée, cette lettre entre les feuilles du cahier que tantôt il offrait à ses cousines, par distraction. Et on lui apprenait que Paule…

Se laissant choir sur une chaise, il dévora l’affront. Ce qui, justement, l’avait séduit en cette jeune fille, c’était l’équilibre admirable des facultés la régulière santé tant du corps que de l’âme. S’il prisait la fantaisie pour lui-même, il l’appréciait mal, chez autrui, et, par-dessus tout il lui déplaisait souverainement d’être mêlé à toute affaire de mort ou de maladie. S’il espérait pour lui-même échapper toujours à l’une ou l’autre de ces calamités, ce n’était pas la question. Il ne sondait jamais ces oiseux problèmes. Il se portait bien et il lui convenait de fréquenter des gens sains. Telle était la très simple économie de son système.

Encore une fois, il jeta un regard anxieux sur ce demain gros de stupides menaces et il reste un moment accablé, promenant ses regards autour de lui, comme s’il cherchait une issue. Puis, une terrible colère le dresse debout ; son front s’empourpre, ses mains tremblent et, d’un geste violent, ouvrant un des tiroirs de son bureau, il y lance le cahier de thèmes.

Maudite destinée que la sienne !


XIV


Grand air, suralimentation, paix du corps paix de l’âme, voilà ce qu’à recommandé à Paule, sous la menace des plus graves conséquences le docteur Villeneuve. Il lui défend toute étude, de même que les exercices violents ou prolongés. Et, derrière ses lunettes, la moustache hérissée, il l’a scrutée longtemps, dans les yeux. Car, bien qu’il ait blanchi sous le harnais, il ne se rappelle pas d’avoir encore relevé un tel état de faiblesse chez une personne censée normale.

— Surveillez-là, conseille-t-il, en s’en retournant, à l’aînée des demoiselles Rastel qui lui fait la reconduite. Et d’ici une semaine au moins, ne lui permettez pas le moindre effort : pour moi, il y va de sa vie.

— Docteur vous êtes effrayant ! murmure Raymonde.

La pauvre fille se sent bourrelée de remords.

— Avons-nous été imprudentes de ne pas vous consultez plus tôt répète-t-elle. Mais