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L’EXPIATRICE

cousines.

— Dans la vie, on a continuellement à lutter, explique avec gravité sœur Éloi ; quand ce n’est pas à propos d’une chose, c’est à propos d’une autre. Conduisez-vous toujours bien et les tentations ne feront qu’augmenter vos mérites.

— Je ne vois pas que je fasse rien de répréhensible et pourtant je ne suis pas contente de moi. Dès que je me retrouve seule avec moi-même, je m’attriste. Je me compare avec ce que j’étais avant et je regrette. J’en veux aux choses nouvelles qui entrent dans ma vie, qui me transforment ; mais ce que je désirerais au juste, je ne le sais pas…

Ces plaintes sans amertume et qui ne reposaient sur rien de précis laissèrent à sœur Éloi une impression singulière. Toutefois, pour qu’elle songeât à s’alarmer, il eut fallu qu’elle connût sa Paule autrement qu’intelligente, droite et ferme comme elle savait.

— Où te rends-tu directement, en sortant d’ici ? lui demanda-t-elle, pendant qu’elle lui aidait à remettre son manteau.

— À la chapelle, comme de coutume, ma sœur.

— Eh bien, tu iras t’agenouiller au pied de la Sainte Vierge et là, tu commenceras une neuvaine de cinq pater et cinq ave avec l’invocation : Ô Marie conçue sans péché, je m’unirai d’intentions avec toi et tu verras si notre bonne Mère du ciel ne vient pas à ton secours…

Réconfortée, Paule promit d’obéir.

XIII


Il neige. Paule s’en rend subitement compte au moment qu’Israiel referme sur elle la porte. Paresseusement, des flocons tombent du ciel ; ils sont gros comme des têtes d’épingle, légers comme le duvet et ils volettent longtemps, longtemps, dans l’air transi avant de toucher terre. C’est joli voir neiger. Cela remue des choses, dans l’âme. Et Paule reste là, sur le perron, les yeux au ciel.

Elle est charmante dans son manteau de peluche noire, avec son petit chapeau breton dont le velours est de ce bleu très sombre qu’affectionne Noëlla ; une simple aigrette d’argent l’éclaire un peu et Édouard a coutume de dire qu’ainsi habillée, Paule ressemble à une nuit d’hiver. Elle est même trop charmante, la pupille des demoiselles Rastel, car, en la voyant immobile sur ce perron, les passants s’arrêtent presque, pour la détailler, et il en est qui lui jettent des regards hardis.

Cette attention dont elle se sent l’objet la ramène aussitôt à la réalité et elle se gronde : « Ce n’est pas raisonnable. J’étais encore à rêver, malgré mes résolutions »…

D’un pas ferme, elle se dirige alors vers la rue Ste Catherine où elle prend le tramway qui s’en va à l’est.

Sœur Éloi, vous allez revoir votre petite Paule. Elle vient de terminer sa neuvaine et elle sera heureuse de vous dire qu’il fait plus paisible dans son âme et plus clair dans son esprit. Elle vous le doit un peu, bonne sœur Éloi.

Lorsqu’elle quitta le couvent de la rue Fullum, Paule était décidée de s’en revenir à pied, Édouard saurait qu’elle était sortie et, comme toujours, il l’attendait, mais elle arriverait trop tard pour recueillir son humble bonsoir, sa banale réflexion sur la température ou quelque autre sujet d’ordre général. Ainsi, lui qui composait ses joies d’éléments si menus, si peu coûteux, elle le décevrait à plaisir. Froidement, pour s’estimer mieux, elle s’apprêtait à enfoncer une épingle empoisonnée dans ce cœur d’homme ombrageux et tendre.

Et, au fond de sa conscience, les réflexions semblables se multiplient, se dressent, troublantes ; le remords de son action la tient à la gorge, comme un sanglot, pendant que les tramways qui filent semblent lui reprocher sa lenteur criminelle. Mais, à pas tranquilles, Paule poursuit toujours sa route.

La neige n’a pas duré ; seulement, sous son action, le froid s’est amolli et, de prime abord, on croirait qu’il fait doux comme au printemps tandis que l’humidité vous glace bientôt le visage.

Oui, le pauvre Édouard l’attendra en vain et elle voit d’ici sa figure déçue. Mais, est-ce que la privation ne lui sera pas aussi sensible, à elle ? Comme il l’a prise : Comme elle lui appartient, déjà ! Les autres ne l’appellent pas Mademoiselle de glace, mais justement, c’est lui qui y croit le moins à la statue de marbre qui enveloppe sa palpitante humanité. N’a-t-il pas même, dès les premiers jours, deviné qu’elle songeait au couvent ?…

Et c’était bien bon, après les sorties de fin d’après-midi, de revenir avec cette pensée que, derrière les murs gris de la Pension, quelqu’un la désirait anxieusement. Cela embellissait ses retours d’une auréole de fol bonheur. Son cœur de chair battait plus vite. Elle se répétait, avec une certitude délicieuse : « Il sera là ; peut-être dans le corridor, peut-être dans l’escalier ou le vestibule, je ne sais, mais il sera là pour moi. »

Seulement il fallait en finir et quitter ce terrain de sable mouvant où son énergie menaçait de s’enliser. « Soyez toujours, toujours et toujours maîtresse de vous », avait conseillé d’outre-tombe, l’aïeule bien-aimée.

Mais au moment où après avoir marché pendant au-delà d’une demi-heure, Paule distinguait enfin d’entre ses voisines la masse carrée de la Pension, ce délicieux émoi qu’elle avait cru perdre le saisit toute. L’objet en est différent, mais peu importe. C’est que, ce soir… Elle le retrouvera, Édouard, à la leçon, et leur tête-à-tête sera plus émouvant que de coutume. À la sécurité de ce revoir, l’inconnu ajoutera son charme fort. Il l’interrogera, de ces yeux qu’il cache à la plupart, et, avant même la leçon il voudra lui demander : « Pourquoi m’avez-vous fui ? » Et la question prolongera, entre eux, son écho palpitant. Elle répondra : « Pour m’assurer de mon indépendance, en prévision du jour où je me re-