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L’EXPIATRICE

perfectionnés dont se servaient ses jeunes confrères. Et, un jour que tout ce monde-là était à opérer un pauvre homme de la pierre l’opérateur commença de pâlir et d’avoir la sueur au front, car, il avait beau fouiller avec ses outils, il ne trouvait pas la pierre. Ils allaient se résigner à refermer le malade, quand, en ricanant, le vieux chirurgien s’approcha. Il avait de longs doigts secs comme les tiens, Henri, et les ayant plongés dans l’ouverture, triomphant, il les sortait bientôt en tenant la pierre.

— Très encourageant ton petit conte, approuva le jeune homme, mais je n’ai pas que des doigts et des mains, sais-tu, j’ai aussi des jambes, de longues jambes qu’il me faut replier parce que la table est basse…

— Un peu de patience, interrompit sa sœur. Tu ne vois pas que j’approche encore une fois du paradis ? Laisse-moi y arriver et après, je te fournirai le moyen de les délasser, tes jambes.

— Une commission ? demanda-t-il vivement.

— Tu n’y es pas. Tout simplement, si personne n’y a objection, nous allons demander à maman de faire un peu de musique et nous danserons.

À cet énoncé, Paule sentait, comme le chirurgien maladroit dont il venait d’être question, le sang se retirer de son visage. La pensée qu’Henri pourrait s’offrir à la faire valser, qu’elle devrait s’appuyer à son bras et se laisser emporter par lui à travers la salle la remplissait d’une terreur soudaine vraiment insurmontable.

Sa résolution fut immédiatement prise et elle en fit part à ceux qui l’entouraient : elle devait se retirer et ne point inquiéter Mme Deslandes.

— Qu’est-ce qui vous presse ? se récrièrent les jeunes filles. Mme Deslandes est peut-être à l’église en ce moment et vous demeurez si peu loin que si l’inquiétude la tourmentait, elle viendrait bien vous chercher…

Mais Paule resta inébranlable.

Par exemple, elle ne s’attendait aucunement à la proposition que lui fit Henri de la reconduire ; n’ayant pas de raison de lui faire grise mine, elle accepta.

Lorsqu’ils furent seuls, sur le trottoir, le jeune homme eut un long sourire et il dit :

— Que vous êtes calme, mademoiselle ! Je n’ai encore jamais relevé un pareil sang-froid chez une jeune fille de votre âge. Il est vrai, ajouta-t-il, que vous êtes blonde, ce qui explique bien des choses. Les races blondes au teint blanc sont ordinairement flegmatiques. Voyez les Anglais, les Allemands. les Russes et, en général, tous les habitants des pays froids. Mais ce n’est plus la même chanson quand il s’agit des méridionaux : les Italiens et les Espagnols, par exemple. Ceux-là ont du soleil sous la peau et du feu dans les veines…

— Mais, s’interrompit-il, c’est mon père qui est là : je ne l’avais pas reconnu.

Au bord du trottoir, deux hommes causaient, en effet, les mains derrière le dos.

— Bonsoir papa, fit Henri en saluant.

Le docteur tressaillit, en fronçant les sourcils, comme sous l’effet d’un profonde surprise et Paule ne sut point s’il avait répondu au souhait de son fils.

— Pour en revenir à ce que je disais… reprenait Henri.

Mais il s’interrompit devant le regard humble et profondément triste que Paule levait vers lui.

— Ce n’est pas ma faute, murmurait-elle, si je suis ainsi.

— Comment donc ! s’écria-t-il. Est-ce qu’on vous en fait reproche ? Je vous assure que vous êtes très bien comme vous êtes… Absolument très bien !

Ils étaient déjà arrivés.

— Je vous ai fait de la peine, n’est-ce pas ? demanda-t-il.

Et elle vit tressaillir tous les muscles de son visage.

— Mais non, protesta-t-elle. Seulement, d’autres ont déjà fait cette réflexion que j’étais froide.

— Pas froide, corrigea-t-il : réservée, de sang-froid… Vous avez beaucoup de tenue. Là, me suis-je expliqué, enfin ?…

Il souriait toujours, en parlant d’un ton badin, mais au fond, il était extrêmement mécontent de lui.

— Je lui ai fait de la peine, se répétait-il après l’avoir quittée. Cette maladresse d’aller disséquer son tempérament, comme si ça pouvait l’avancer à quelque chose. Je pense que je lui ai fait de la peine, gros !…

XVIII


C’est, de nouveau, la belle saison, les journées longues et chaudes, les chants et les bruits d’ailes dans les arbres, la poussière dans les rues.

La Pension commence à se dépeupler. Comme à l’ordinaire, les messieurs Dufresne sont partis les premiers et c’est depuis qu’ils ne sont plus là, précisément, que Raymonde broie du noir. Cet après-midi, sa sœur la trouve prosterné dans un fauteuil de l’atelier les yeux clairs et fixes, ses lèvres tendues comme sur quelque rigide secret.

— Qu’y a-t-il donc, ma grande ? s’informa Noëlla. Tu as l’air tout chose.

— Il y a… Il y a que je suis malade !

— Vraiment ? compatit la cadette. Et qu’est-ce qu’il faudrait pour te ramener ?

— Mais des bons soins, de la tendresse, du dévouement…

Noëlla passe son bras autour du cou de sa sœur et elle lui donne un baiser. Mais, en se penchant, elle a aperçu le poing crispé qui retient évidemment quelque chose.

— Que caches-tu là ? s’informa-t-elle.

Sans résistance, Raymonde se laisse ouvrir la main et, quand elle a déplié le papier, Noëlla reconnaît la dernière lettre de Paule.

L’aînée s’est redressée.

— La vérité, Noëlla, exige-t-elle. Tu ne trouves pas que Paule a changé du tout au tout, depuis qu’elle est là-bas ?…

— Elle est plus gaie, c’est sûr.

— Plus gaie… Ses dernières lettres sont des cris de joie. Elle que nous avons toujours connue si maîtresse d’elle et, après tout, un peu triste, mélancolique au moins.

… Rappelles-toi, d’ailleurs, ses premières