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L’EXPIATRICE

cher ce présent du ciel. Non, de pareilles coupes de joie ne s’épuisent pas !

Toutefois, Édouard ne se présenta point à la maison, le lendemain, et personne, dans le village, ne parla d’un étranger qui serait entré dans l’église, vers les cinq heures.

Les jours passèrent et sur le visage amaigri de Paule la détresse se burinait en traits plus profonds.

Un matin qu’il lui en coûta davantage de quitter son lit, elle décida tout d’un coup de renoncer à la messe du matin ; mais ce sacrifice joint à la constatation de son impuissance amenèrent les larmes à ses yeux. Elle enfouit sa tête dans l’oreiller et y sanglota. Quand donc arrivera-t-il ce beau printemps qui doit la ressusciter, comme l’an passé, à St Antoine ?…

À partir de ce jour, elle en prit plus à son aise et même, les fins d’après-midi, quand elle se jugeait trop bien, près de la tortue, elle sortait simplement son chapelet qu’elle égrenait assise. Puis, les mains jointes et les yeux baissés, elle s’abîmait en la présence de Celui qui remplit le ciel et la terre.

Cette détente de son énergie lui valut un mieux sensible que Mme Deslandes releva et nota avec enthousiasme dans ses lettres à Melle Dufresne. L’excellente femme eut même la faiblesse de s’en exagérer la durée et c’est ainsi qu’on arriva au dernier mois de l’hiver.

Certain dimanche du commencement de ce mois, Paule s’éveilla à l’heure désirable, mais son corps paresseux lui sembla plus lourd qu’à l’ordinaire tandis que son esprit resté, au contraire, d’une étonnante activité commençait de lui présenter des scènes bizarres : elle revit des attitudes, analysa des impressions ; elle scruta des vies qu’ensuite elle comparait à d’autres ; elle crut entendre exprimer des idées, des théories…

Et soudain, avec la rapidité d’un cyclone dévastateur, un vent d’incrédulité secoua, de fond en comble, sa conscience. En un clin d’œil, il eut fait table rase de ses croyances les plus lointaines. Elle eut l’impression d’un toit qui s’enlevait de dessus sa tête, laissant le ciel immuablement bleu et serein ; de murailles qui s’abattaient, découvrant sur une étendue illimitée l’horizon. Une paix étrange la baigna de son eau morte.

Abaissant ses paupières elle feignit alors de dormir et laissa Mme Deslandes partir seule pour l’église.

Comme la porte se refermait sur elle avec un bruit que la bonne dame ménageait à dessein, cette paix qui avait saisi Paule se fit plus dense encore pendant que son esprit raisonnait toujours avec une vélocité qui tenait du prodige.

Comment avait-elle pu croire si longtemps ?… Il n’y a rien, après cette vie. La terre c’est la terre et nous en sommes tous sortis, du premier au dernier. Son père converti deux fois, d’abord pour plaire à son épouse, ensuite au moment où « son physique enfin dompté par la maladie, il n’était plus le même », Édouard renégat en pleine maturité de corps et d’esprit, ses fanatiques cousines elles-mêmes, enfin tous ceux qu’elle a connus, vraiment, apportent en faveur de son opinion, leur témoignage divers. Il n’y a rien de l’autre côté, ainsi qu’on a coutume de dire, et la mort c’est la mort comme la terre c’est la terre. La mort n’est rien d’autre que la raisonnable fin de tout, l’abîme, le néant. Et soudain, Paule se demande si elle n’en approche pas ?…

Alors, au simple évoqué de ce grand repos qu’elle aurait dû bénir, elle épuisée et qui avait souffert, un vertige la saisit. C’en est déjà fait de sa tranquillité de ne plus croire et les tempes moites, elle s’interroge pour savoir si cette paix horrible qui la tient n’est pas déjà le commencement de l’anéantissement sacrilège. Les affreux éclairs jaunes passent devant ses yeux ; ses oreilles bourdonnent du bruit des cloches ; et elle s’évanouit.

Lorsqu’elle revint à elle, elle était toujours seule dans la maison et la paix cruelle qui la guettait, la saisit à nouveau. C’était cela la mort : l’anéantissement. Une épouvante froide la baigna encore de sueur mais elle ne perdit plus le sentiment. La faiblesse la clouait au lit ; c’est en vain qu’elle aurait appelé ; et, en jetant autour d’elle un regard de détresse, elle ne reconnut rien qui eût quelque âme sinon le gros réveil apporté du Foyer. Paule riva son regard au cadran d’émail et morne, tout à la fois affolée et rigide, elle attendit.

Ce fut Mme Deslandes qui rompit le charme mauvais. Elle apportait à la jeune fille les commentaires recueillis à la porte de l’église ; elle lui disait combien il y avait eu de tablées de communion ; quelle avait été, en général, la tenue de l’assistance, sa quantité etc. Paule l’écouta, un petit sourire de pitié aux lèvres. Oui, oui, elle les voyait les nommés « fidèles » se précipitant à l’assaut de la Sainte Table, s’épiant les uns les autres et ne perdant pas, surtout, un seul geste du prêtre qu’on sait faillible comme tout homme.

D’une voix faible, qu’elle eût voulu arrogante, elle déclara qu’elle pourrait fort bien se lever, en y mettant un peu d’énergie, mais qu’elle avait décidé de ne point assister à la grand’messe.

— Vous n’êtes pas obligée, assura Mme Deslandes en s’éloignant, vous n’êtes sûrement pas obligée. Moi non plus, ajouta-t-elle, je n’irai pas. Je resterai avec vous.

Ce court entretien avait épuisé Paule qui, sitôt seule, s’endormit. Elle s’éveilla quelques minutes plus tard, lorsque Mme Deslandes rentra en portant à deux mains un plateau fumant. Le regard froid et sombre que lui jeta la jeune fille saisit sa compagne qui ne lui en dit pas moins, de son ton le plus engageant :

— Vous allez déjeuner dans votre lit, Melle Paule. Tenez, je vais d’abord encanter vos oreillers…

Mais Paule détourna la tête en assurant qu’elle préférait ne rien prendre.

— Comment ? En voilà une fantaisie… Et moi qui me suis donné tant de peine pour réussir ce bouillon à la reine. Je suis bien sûre, d’ailleurs, que vous en redemanderiez,