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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Joshua ! m’écriai-je comme si je fusse sorti d’un songe.

— Eh bien, oui, c’est moi, Joshua, votre serviteur ! Ce n’est pas ma faute, seigneur Pompeo, si des misérables vous ont ruiné. J’adjure ici le ciel…

— Que ce n’est pas toi qui es l’auteur de ma misère, que ce n’est pas toi qui m’as enlevé mon plus cher espoir, cette femme devenue à cette heure l’épouse d’un autre ! Sache donc, misérable, que je l’ai reconnue sur le pont du Saint-Esprit. Où la conduisais-tu, il y a plus de trois mois, quand tu l’enlevas de ma maison de Parme ? À ce grand seigneur qu’elle vient de suivre, n’est-ce pas ? On l’aura forcée de réparer une faute par le malheur de sa vie. Et son enfant, dis, qu’en as-tu fait ? Est-ce donc à toi qu’il a dû d’ouvrir les yeux au jour ? Comment n’a-t-elle pas reculé en voyant en toi le modèle de la laideur ? Comment a-t-elle permis à un monstre de l’approcher ? Oh ! sans doute tu gardais alors ce masque, éternel linceul de ton visage. Si elle t’eût vu comme je te vois, eût-elle accepté tes secours ? Encore une fois, réponds ; c’est le désespoir qui t’interroge ! Si tu me rends mon enfant, moi à qui l’on ne peut plus rendre sa mère, je te rendrai la clef de cette prison, sinon, docteur de l’enfer, c’est en ce lieu que tu vas trouver la tombe ! Espion ou assassin, il faut que tu parles !

Il s’était jeté haletant à mes genoux, il pouvait à peine parler… J’étais sanglant, demi-nu, mon aspect dut le frapper d’une terreur sauvage. Il ne songea pas même à s’armer de son scalpel, mais, d’une voix étranglée par la frayeur, il me fit le récit de son voyage. À l’entendre, il ne m’avait pas dénoncé ; il s’était vu forcé d’obéir seulement aux ordres de parents qui réclamaient contre un rapt. On lui avait fait jurer qu’il ne me parlerait pas, lui-même était surveillé dans cette mission pleine d’embûches. Il ignorait l’état de celle qu’il devait ramener à sa famille. Elle s’en ouvrit à lui en lui avouant son amour pour moi, en plaignant mon sort, en se confiant à sa tutelle. Il ajoutait que, touché de ses larmes, il avait pris sur lui de gagner alors la frontière