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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

d’heure avant, et elle eut peur d’elle-même… Ses lèvres tremblaient, son sein était oppressé…

— C’est lui !… c’est bien lui !… murmura-t-elle accablée. Mais… Oh ! non… c’est impossible !… Pourtant, je l’ai vu, je l’ai reconnu : oui, là… tout à l’heure…

Elle ouvrit la fenêtre et chercha des yeux dans la rue sombre.

— Rien, rien, maintenant ! poursuivit-elle. Je me suis trompée, c’était une vision.

Dans son trouble, elle se jeta à genoux devant son prie-Dieu. Sa respiration était brève, ses yeux égarés, sa prière entrecoupée de soupirs. Quand elle se releva, ses forces la trahirent ; elle se traîna éperdue jusqu’à son lit.

Dans sa soif brûlante, elle saisit le gobelet et elle but…

— Bien, murmura-t-elle, comme si elle eût encore parlé à sa Moresse ; bien, Suzanna, ce breuvage va me calmer.

Elle s’était jetée tout habillée sur le lit ; ses yeux s’y fermèrent bientôt, un pesant sommeil lia ses membres.

Le docteur écarta alors le rideau, puis sortant avec précaution de sa cachette, il poussa le verrou de l’appartement…

— Maintenant, à l’œuvre, murmura-t-il en regardant la duchesse.

Elle ressemblait à une de ces femmes de marbre couchées mollement sur la pierre d’un cénotaphe… Le docteur s’arrêta quelques instants pour contempler cette magnifique figure, beauté royale, souveraine, que le ciseau du Berruguete ou de l’Ano semblait avoir devinée. De longs cheveux noirs, nattés de perles, s’épanouissaient en touffes bouclées autour de ce front et de ces joues, splendides encore de l’éclat du bal ; les épaules de la duchesse le disputaient à la blancheur de l’oreiller. Ses bras et ses mains étaient chargés de bijoux du plus grand prix ; sa robe brochée d’or, ses dentelles et son reliquaire de pierreries éblouissaient… Un parfum d’ambre et de violette s’échappait encore de ses gants négligemment jetés sur les courtines, près de son éventail de laque…