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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Dans le même instant, un hurlement furieux retentit jusqu’aux profondeurs de la forêt : un tigre haletant, brisé de fatigue et traînant à son cou un reste de chaîne, venait de se dresser devant le cheval barbe, sur les flancs duquel il imprimait déjà la, trace de ses ongles d’acier… Mais avant qu’il eût pu même lâcher prise, le son d’une arquebuse avait suivi son rugissement, et l’animal, frappé à l’oreille par une balle sûre, roulait en se débattant dans un ravin qui bordait la route.

Giuditta, morne, égarée, avait suivi des yeux cet épouvantable spectacle ; elle avait tremblé, elle avait frémi, elle venait de reconnaître Charles Gruyn !…

Ce jeune homme, dont elle ignorait le nom, grandissait pour elle de toute la hauteur du sang-froid et du courage ; quand elle le vit descendre de cheval et remettre lui-même son coursier meurtri et fumant aux mains des pages de l’archiduc, elle fut près de s’évanouir…

C’est qu’aussi dans la litière que précédait l’intrépide cavalier, Giuditta venait de reconnaître sa rivale, sa rivale la duchesse de Fornaro !

Mille voix flatteuses s’élevaient déjà autour de Charles ; Rodolfo et Pepe ne purent s’empêcher eux-mêmes de mêler leurs applaudissements à ceux de la foule…

Le comte Pepe descendit, et tendit la main au jeune homme. Rodolfo le salua, les piqueurs, les pages firent cercle autour de lui… Les échos du parc retentirent bientôt des sons d’une fanfare éblouissante…

Pendant ce temps, des femmes s’empressaient près de la duchesse évanouie au fond de sa litière, on lui faisait respirer des sels, on bassinait ses tempes, elle ouvrit enfin les yeux…

La duchesse était seule, Charles lui tenait les mains, un air de fierté douce et modeste l’embellissait. Le comte Pepe enviait la grâce de ce cavalier, Rodolfo était jaloux de son courage…

Pour Giuditta, appuyée à ce balcon, elle y mordait de ses dents serrées par la rage le bouquet du comte…