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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Une tombe dorée au bout du vieux Paris,
Mais enfin de la tombe on est parfois épris.

Dans celle-ci, d’ailleurs, je vois en robe à queue,
Des dames de la cour qui font bien une lieue
En chaise, en falbalas, afin de voir le bal
Que Lauzun va donner en ce salon royal.

Je vous y vois vous-même avec l’abbé Coulanges,
Je respire l’œillet qui sort de vos fontanges,
Un grave président, le président Lambert,
Y parle à vos côtés de Fouquet, de Colbert,

Tandis qu’avec amour une docte marquise,
La Sévigné, caresse auprès du feu Marphise.
Du jet de vingt cristaux le plafond est ardent,
Voici tous les héros de l’hôtel Pimodan :

Gruyn, Hervart, Ogier, Grandmaison et vingt autres
Illustres financiers qui valaient bien les nôtres,
Que Rigaud, Largillière ont peints sur ces panneaux.
Voyez ! la cour d’honneur ruisselle de flambeaux,

Et la Seine déjà reflète en gerbes folles
Le lustre de l’hôtel aux mille girandoles !
Puis la fête s’éteint aux premiers feux du jour,
Comme tout doit s’éteindre, hélas ! même l’amour !

Ainsi m’étais-je passionné pour cette ancienne demeure.

En apprenant que Lauzun et le marquis de Richelieu avaient tous les deux passé par là, que le constructeur de cet hôtel avait été le héros d’une sombre et tragique histoire, que tout ce qu’il y avait eu de beau, de noble et de brillant dans le grand siècle avait dû fouler les parquets de l’hôtel Pimodan, que Bossuet et le père Feuillet de l’Oratoire y avaient enfin converti madame de Lauzun la mère, je m’applaudis du choix de cette retraite devenue pour moi une étude. Ici venaient mourir les derniers bruits de la capitale, car en ce lieu les artères de Paris cessent de battre, la vie s’en est retirée. J’avais lu la veille le Rancé