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Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/143

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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

sentant une villa modeste, enfouie sous des masses de chèvrefeuilles et de lauriers-roses.

— Mon pauvre jardin de Parme ! murmurait-elle avec une voix entremêlée de soupirs, à qui es-tu maintenant ? À cette heure, peut-être, l’herbe et les ronces croissent seules à la place de tes mûriers ; ton humble maison n’est plus que décombres, tout est effacé de ton sol, tout, jusqu’à la place où ils m’ont arrêtée, enlevée inhumainement. Quand je te quittais, verdoyant enclos, ce n’était que pour aller à la Steccata, la seule église où je pusse, sans être vue, causer de ma douleur et de mes craintes avec les anges ! Asile du remords et de la prière, que de fois tes marbres ont reçu mes larmes, que de fois ai-je invoqué Dieu dans ton sein pour celui que j’ai perdu ! Mais il devait mourir à la seule vue de ma lâcheté, cet ardent et noble courage. À défaut de la prison et de la torture, mon abandon devait le tuer. Et pourtant, Seigneur, vous savez si je fus alors coupable. Tout concourait à me faire croire à sa perte, on plaça ma main dans celle du duc de Fornaro ; ma main, — non mon cœur ! Et vous-même, alors, ô mon Dieu, vous vîntes à mon aide, vous me délivrâtes bientôt d’un joug cruel et pesant. Par vous, je suis libre, je n’appartiens plus qu’à moi…

Mais ce jeune homme, ce Charles ? dois-je donc être ingrate envers ce libérateur imprévu ?… Ah ! trop de malheurs ont plané sur moi, mon étoile n’est pas la sienne. Qu’il soit heureux, il est jeune, il est courageux… moi, je dois veiller à son bonheur, je dois écarter de lui les alarmes et les angoisses… Mais il tarde bien à venir ce matin. Et cependant, ajouta la duchesse en soulevant une portière de l’appartement, j’entends des pas dans sa chambre, il ouvre la fenêtre qui donne sur la place du Vieux-Palais… il est là. Je ne dois point oublier que je lui dois ce bouquet… aussi, l’ai-je placé dans mon plus beau vase de jaspe… Quelle intrépidité n’a-t-il pas montrée hier !… Le voici, il entre… D’où vient donc qu’à son approche mon