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LES MYSTÈRES DE L'ÎLE SAINT-LOUIS

m’occuperai de vous, j’aurai toujours les yeux sur celui qui va peut-être m’oublier. Mais vous ne m’oublierez pas, oh ! non, je le vois à vos larmes, à votre pâleur, à vos regrets. Seulement, vous vous direz : J’ai fait à la duchesse de Fornaro le plus éclatant des sacrifices, celui de mon honneur que j’ai immolé au soin de ses jours, de son repos. Moi, de mon côté, je dirai la vérité, que je vous ai fait violence, que je vous ai dénoncé ainsi que le comte à l’archiduc. Vous m’avez entendue, vous m’obéissez, n’est-il pas vrai ?

La duchesse avait apporté dans cette pressante sollicitation toute l’éloquence d’une femme résolue de vaincre la plus rebelle des résistances. Elle entourait Charles de ses caresses, elle le pressait, elle le suppliait. Le jeune homme parut céder. Pendant que Teresina donnait ses ordres, Charles passa dans la pièce qu’il occupait, et dont la fenêtre se trouvait alors ouverte. Le calme enchanteur de la nuit, le murmure des brises et des fontaines rafraîchissaient peu à peu son front brûlant ; il repassait en lui-même les événements de cette soirée, et elle lui faisait l’effet d’un rêve. Deux coups légers venaient de retentir à la porte du palais de la duchesse, Charles reconnut deux laquais, porteurs d’immenses coffres. Se penchant au balcon de l’appartement, il leur demanda ce qu’ils voulaient.

— Nous venions, lui dirent-ils, de la part du marquis de Rovedere, notre maître, vous remettre cet or et une lettre. Veuillez en prendre connaissance.

Par un instinct machinal, Charles descendit, et à la lueur d’un falot, il put lire les lignes suivantes :

« Le comte Leo Salviati est un beau joueur, monsieur, vous le voyez, mais c’est aussi un redoutable adversaire. Faites mettre cet or en lieu sûr, et suivez les porteurs jusqu’à la salle d’armes de Belphégor que je viens de réveiller. Je vous y attends.

Votre ami,
Le marquis de Rovedere. »