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Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/177

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LES MYSTÈRES DE L'ÎLE SAINT-LOUIS

sur ses pensées, qu’il lui arrivait de ne pouvoir s’étourdir en rien dans les joies folles ; le jeu même et l’ambition, ce démon plus dur que le jeu, n’avaient plus de prise sur lui. Il avait songé d’abord à se représenter aux regards de Richelieu et à lui demander le prix du crime, car c’était bien un crime que l’Italien avait commis, c’était une victime qu’il avait jetée en Seine.

Mais quelle était cette femme ? de quel délit odieux se trouvait-elle donc coupable ? Devenu l’instrument d’une vengeance, Pompeo comprenait qu’il avait été joué.

Et cependant, il avait aussi à se venger ; la vengeance lui eût remis du baume au cœur. D’ailleurs, n’avait-il pas agi vis-à-vis d’une promesse inviolable ? n’avait-il pas obéi à un démon ?

Le remords étendait déjà sa main sur lui ; il en était presque à regretter de ne s’être point livré au cardinal.

– Ah ! s’écriait-il avec un accent de rage et de douleur, le serment de ce misérable ne recouvrait qu’un mensonge ! Je n’en veux pour preuve que sa fuite habile et son silence obstiné après l’attentat. Samuel existe, il complote contre moi sans doute avec cet homme. À moi la misère, la honte, les nuits où la sueur baigne mon front, les nuits où ce fantôme inconnu se dresse devant moi ; à lui le repos, l’oubli peut-être !… Moi, je me souviens, je ne saurais oublier ! Souvenirs affreux et déchirants, voix de la tombe qui me brisent ! Un mendiant est plus en repos que moi !

Et Pompeo baissait la tête en silence ; il murmurait en pâlissant des paroles sombres, sauvages… Lorsque Mariette s’approchait de lui en ces moments-là, elle le trouvait presque insensible, emporté qu’il était au delà des limites humaines, et gardant sur ses traits la pâleur du désespoir.

Par un hasard singulier, Mariette était la seule femme contre laquelle le poids de sa douleur vînt se briser ; son souffle, tiède, pénétrant, avait le pouvoir de consoler ses angoisses. Au fond de tout chagrin, il y a toujours un reste