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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

Ce sanctuaire, tendu de magnifiques tapisseries de perles frangées d’or, était digne d’une princesse ; deux figures en cariatides soulevaient ses rideaux épais : c’étaient le berger Paris et Vénus. Un prie-Dieu et une toilette étaient renfermés dans la balustrade, sur laquelle six miroirs de Venise aux bras chargés de lumières jetaient alors des lueurs vives et splendides.

Saint-Amand se récria rien qu’en voyant le plafond de cette chambre, qui représentait la Nuit avec son cortége d’étoiles. Des amours sculptés soutenaient la boiserie de la glace principale, des médaillons peints en grisaille retraçaient partout des scènes de la fable. Le canton d’armes placé au-dessus du lit était vide…

— Eh bien ! demanda Bellerose en jouissant de l’étonnement du poëte, cette pièce vous paraît-elle digne d’être chantée ? C’est la chambre à coucher de la comtesse. De ce balcon, elle peut voir s’éteindre les feux du Louvre ; les bruits de la ville expirent ici, voyez. À peine un sillage de nacelle sur l’eau, à peine un bruit de pas, un silence à faire envie au désert. L’Arsenal, troué de quelques maigres lumières, déroule à votre droite sa masse noirâtre ; les ormes du quai frémissent sous la brise. Ah ! c’est une belle nuit. Moi, qui ai vu l’Italie, je puis vous parler sciemment de ce tableau, de ce panorama coupé par le ruban moiré du fleuve. La lune y baigne en paix son disque argenté. N’admirez-vous pas comme moi ces maisons, ces ponts lumineux et leurs grandes ombres ? Le comte de San-Pietro ne pouvait choisir un meilleur temps pour arriver ; aussi, vers une heure de la nuit, j’attends en ce lieu Son Excellence…

Bellerose, en parlant ainsi, avait ouvert l’une des fenêtres du balcon. Saint-Amand se contenta de lui faire observer deux nuages noirs, dont le corps allongé comme celui de deux phoques semblait vouloir obscurcir la splendeur de l’astre nocturne. Un vent léger s’élevait, et promenait sur le quai sa raffale de poussière.

— Je crains que le temps si vanté par vous ne se gâte,