Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
217
LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

roulait de si gros nuages que Charles avait cru prudent de sortir drapé de son manteau. Une rapière italienne, ciselée avec autant d’art que celles de Benvenuto, ceignait son flanc ; des éperons damasquinés sonnaient à ses bottines brodées de dentelles ; son chapeau, à larges bords, était orné d’un nœud d’émeraudes. Malgré le mauvais temps, Charles avait apporté à sa toilette une recherche véritable ; il calculait peut-être que sa bonne mine en imposerait. Quel était donc ce mystérieux cavalier ? que lui voulait-il, et comment avait-il su son arrivée ? Depuis cette nuit où il avait sauvé la duchesse, bien des fois l’image de ce singulier libérateur avait occupé les rêves de Charles ; il se rappelait fort bien le masque bleu qu’il portait et le pacte qu’il lui avait fait signer. La résiliation complète de sa volonté entre les mains de cet inconnu faisait passer en lui des frissons de crainte ; quel intérêt pouvait-il avoir à disposer ainsi de sa liberté, de sa vie ?

Courageux par nature, Charles, cette fois, n’avait pas cru devoir reculer, il attendait son aventureux visiteur avec fermeté. Depuis ce duel fatal où il avait tué Leo Salviati, Charles n’avait pas cru à la possibilité d’une rencontre ; le soupçon d’un guet-apens se présenta alors à son esprit.

— Quelque misérable qui veut transiger peut-être avec ma bourse, pensa-t-il. Il est certain que sans lui je pouvais être pris en ce lieu avec la duchesse ; peut-être m’a-t-il dénoncé… peut-être ne viendra-t-il pas seul à son rendez-vous ! Mais avec ce fer, que puis-je craindre ? Des ennemis, oh ! je dois m’en être fait ; pardonne-t-on jamais à ceux qui s’élèvent ? Découvert déjà par cet homme, espionné, reconnu ! continua-t-il avec dépit. Ah ! s’il ne me promet pas à son tour de ne jamais trahir mon secret, malheur à lui !

Il parlait encore quand une silhouette fine et légère se détacha sur le terrain semé d’ombre où il marchait, et Charles vit bientôt venir à lui un cavalier de moyenne taille…

Il était si coquettement habillé, si leste, si galant dans sa