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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Oh j’étais bien sûre de votre cœur, reprit la naïve Mariette ; vous pouviez devenir ambitieux, jamais ingrat ! Oui, je savais bien que vous alliez revenir, vous êtes revenu. Jusque-là j’aurais pu douter de vous ; mais je vous ai vu, vous m’avez parlé, vous avez été bon, généreux comme autrefois. Non, ce n’était point un rêve que votre présence mystérieuse dans la maison de votre père, l’autre nuit ; ce n’était point un rêve que cette voix tendre et repentante, ces pleurs fraternels que vous versiez, ce serment que vous me faisiez de ne plus quitter à l’avenir notre toit modeste ! Il est temps d’y revenir, d’abandonner, Charles, cette vie qui peut vous être fatale. Pensez-vous donc abuser cette noblesse envieuse ? pensez-vous briller impunément aux yeux de ceux qui vous ont connu ? Et quand cela serait, ne retrouvez-vous pas ici deux cœurs brisés, le mien d’abord, et celui de votre père, pauvre vieillard qui vous pleure ? Vous le reverrez, vous l’embrasserez, et moi, votre amie, moi, votre sœur, vous me rendrez la place que j’avais dans votre cœur, n’est-il pas vrai ? Cette femme, — si elle est ici, avec vous, — vous la quitterez, vous aurez ce courage, oh ! vous l’aurez. Ce n’est que pour elle que vous nous avez quittés, pour elle que vous courez cette mer d’aventures et de périls ! Encore une fois, quittez-la, je vous le demande, je l’exige même au nom de votre bonheur ! Voilà quel était l’objet de ce pacte, voilà les conditions terribles que je vous imposais, ajouta Mariette en souriant. Suis-je donc, dites-moi, un créancier si exigeant, si farouche ?

— Vous êtes un ange, répondit Charles, résolu plus que jamais à ne point déchirer trop vite le cœur de Mariette devant l’aveu ingénu et passionné d’un tel amour ; vous serez toujours ma sœur, mon amie ! Oui, je suis un ambitieux, un fou… Mais je vous aime, Mariette !… Absente ou présente, je, vous retrouve ; allez, je n’ai rien oublié de nos joies d’enfance ; je vois toujours notre petit enclos aux branches vertes, et votre fenêtre aux grappes pendantes. Je