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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Amand ; on ne veut donc pas que je puisse dire mon sonnet ! Le broc d’honneur !

— Attendez Mariette, dit Bellerose avec grâce et en s’ajustant devant un miroir piqué de mouches, n’est-ce pas Hébé qui présente la coupe aux dieux ?

Bellerose, en parlant ainsi, se dirigea vers la compagnie de maître Philippe Gruyn, et le pria, au nom de l’assemblée, de faire descendre Mariette…

Lors donc que le digne cabaretier eut agité trois fois la petite clochette suspendue, par un léger battant de cuivre, à la droite de son comptoir, signal ordinaire par lequel il annonçait l’entrée de Mariette, il se fit un grand silence.

Saint-Amand peigna de son mieux sa moustache rousse, et leva les yeux au plafond pour y chercher une rime ; le capitaine la Ripaille reboucla son ceinturon sur ses reins, le masque et son compagnon interrompirent leur jeu, Bellerose siffla un air, et l’italien, placé près du poëte, regarda négligemment.

Mariette parut, embrassant à peine de ses deux mains un de ces pots de Flandre, au ventre énorme, sur le grès desquels les curieux d’aujourd’hui recherchent encore, plus que ceux des seizième et dix-septième siècles, le ciseau de l’ouvrier qui souvent était un maître. Sur le couvercle de ce vase d’étain était sculptée en ronde bosse l’effigie du roi Louis XIII ; c’était là le broc d’honneur, le broc par lequel tout étranger payait sa bienvenue au cabaret de la Pomme de pin.

Comme il était bien rempli, Mariette avait grand-peine à le soulever, elle pouvait même le laisser choir ; aussi vit-on aussitôt se détacher derrière elle, dans l’espace lumineux qui entourait le comptoir de maître Philippe, une sorte de figure assez semblable à celle d’un nain, celle du valet de Saint-Amand, qu’il appelait Mardochée. Craignant un faux pas de la belle enfant, il prit le vase trop lourd pour ses jolis doigts.

Mardochée avait, dans sa jeunesse, été sonneur, puis