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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

de poëtes faméliques, lui faisaient mal. Plus d’une fois il avait manifesté à maître Philippe Gruyn, son père, la ferme volonté de s’enrôler, et de se conquérir au moins une place plus noble à l’aide de son épée ; mais la tendresse du cabaretier, dont il était le plus jeune fils et le fils le plus aimé, l’avait détourné de cette résolution. Au lieu de frayer avec les étudiants, il les avait pris en haine ; à défaut d’un monde réel, il s’était créé un monde fictif, un monde de roman et d’oripeaux. Les comédiens le grugeaient, et le plus coquet d’eux tous, Bellerose, s’était chargé de l’initier aux belles manières.

De tout temps Paris a renfermé dans son sein de pareilles natures, consumées de pareils désirs et rongées de pareilles plaies. Vers le même temps, Molière maudissait aussi le velours, les clous et les banquettes de maître Poquelin ; mais Molière, au sortir du collége de Clermont, trouvait déjà par son chemin de nobles amitiés : les Conti, les Bernier, les Hénaut et les Chapelle avaient partagé avec lui les leçons de Gassendi. L’isolement de notre jeune homme était complet. Hors son luth et Mariette, qui pouvait-il aimer raisonnablement dans la grande ville ? Le père d’une étuvière du quai de Gesvres avait proposé récemment à maître Philippe d’unir sa fille à Charles Gruyn, et celui-ci avait refusé hautement un mariage opposé, disait-il, à ses idées. Une fois lancé dans ce rêve qu’on appelle le théâtre, Charles se croyait un héros. Un jour, Bellerose lui avait fait toucher la main de Rotrou. À dater de ce jour, le fils du cabaretier de la Pomme de pin perdit son temps et son argent à des travestissements ruineux. Qu’allait-il donc faire sous les fenêtres de cette belle dame ? se demandait alors la rêveuse Mariette. Elle s’était approchée de lui d’un pas furtif, et ne tirait de Charles que de vagues monosyllabes.

Cependant le capitaine de ronde, après avoir échelonné ses hommes dans le cabaret, semblait attendre que le cavalier possesseur de la bourse de la dame prît la parole. Son