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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

avec emphase ; l’astre de la comédie, c’est moi. Quand je ne joue pas, tu le sais, il n’y a pas de quoi payer les chandelles… Mais je suis modeste, je me retire devant tes innombrables perfections. « Quel est donc ce jeune seigneur si bien fait ? a demandé Maguelonne dès qu’elle t’a vu. Il paraît bien riche, ajouta Circé, notre chanteuse. Comme on devine en lui le gentilhomme, a continué la tendre Olympe. » Et moi, pendant ce temps, je déclamais les vers d’Orondate ; les regrattiers et les laquais ont seuls déchaîné le brouhaha ! Je devrais t’en vouloir, mais je ne m’en sens pas le cœur. Seulement, rassure-toi, je ne te mène point à quelque comédie du jour ; nous jouerons, ce soir, mais c’est au lansquenet que je veux te voir jouer. Tu es annoncé, partons !

Bellerose arrangea les tuyaux de sa collerette, caressa la plume de son feutre, et jeta sur ses habits un coup d’œil de complaisance.

C’était un fort bel homme et un grand fat. Il dansait la sarabande admirablement, tirait l’épée et faisait des vers. Au dire des auteurs du temps, Arlequin sous le masque, et Marais dans un pas de Bergame ne le valaient pas, Bois-Robert le régalait souvent de darioles sous la statue du bon roi de bronze qui est au pont Neuf ; dans tout son quartier, on le nommait le prince Hector. Une bourse problématiquement enflée, un couteau et une montre étaient suspendus à la chaîne de son ceinturon, ce qui était alors le nec plus ultra de la mode. Il tira froidement de sa poche le manuel de Robert Beinière à l’usage du lansquenet, et le présenta triomphalement à Charles Gruyn.

Ce bouquin de Bellerose était plus usé que le bréviaire d’un chantre ; le comédien le savait par cœur, et il ne se fit faute de s’extasier sur ses mérites. Par ce livre, on devait infailliblement gagner. Le chevalier Clidamant, grand joueur, l’avait annoté, le baron de Saint-Brice avait fait fortune grâce à ses préceptes. Bellerose le plaçait bien au-dessus de Pline et d’Aristote.