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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

sieurs chaises et brouettes stationnaient à la porte sous le vestibule des laquais jouaient aux dés.

— Chut ! murmura Bellerose ; voici le capitaine la Ripaille !

La Ripaille descendait alors, en effet, de sa chaise, aussi enrubanné que le marquis de Mascarille… À son feutre neuf, à ses gants parfumés, on eût pu le prendre pour un seigneur.

Bellerose l’avisa, courut à lui ; ils échangèrent tous deux quelques paroles à voix basse.

— Je vous présente, messieurs, la fine fleur de la cour et de la ville, dit le comédien en entrant dans le tripot. Voici un joueur comme on n’en a jamais vu en un mot, c’est mon élève !

Cette phrase de Bellerose fut étouffée sous le bruit flatteur des applaudissements ; chacun se prit à considérer Charles Gruyn.

— C’est un Amilcar, reprit le capitaine la Ripaille ; celui qui voudrait s’escrimer d’estoc avec lui aurait auparavant affaire à moi !

La pièce où Charles se trouvait alors introduit présentait, il faut bien le dire, quelque désordre… Les lumières n’y répandaient qu’une lueur terne et blafarde ; le regard du jeune homme y chercha vainement des visages de connaissance. Les joueurs rassemblés chez Eudes Roquentin, l’ami du comédien Bellerose, conservaient tous sur leur morne physionomie ce type indélébile que Caravage fixa avec tant de bonheur dans son tableau de l’Enfant prodigue. Des coupe-jarrets, des capitaines de raccroc, des seigneurs mantouans qui se disaient exilés de leurs terres, des pages, des Allemands et des comédiennes, ornaient le jeu. Six chandelles, fichées sur de longs bâtons en croix, formaient le lustre, et Charles Gruyn, en s’asseyant, ne remarqua pas sans surprise que tous ces gens de mine peu rassurante s’empressaient de lui donner la bienvenue.

Accoudée à la chaise de Charles, Olympe minaudait avec