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Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/91

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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

du quai des Morfondus, l’horloge du palais poursuivait son carillon mélancolique. Mille formes capricieuses se dessinaient aux angles des rues, aux pignons obscurs des maisons, au flanc des logettes et des tourelles flanquant chaque toit du quai. Pompeo marchait, en proie à l’agitation la plus vive, tantôt doublant le pas, tantôt le ralentissant. Ce qu’il allait faire était le secret de cet homme, et ce secret, son guide inconnu et mystérieux se gardait bien de le lui confier. Peut-être comptait-il l’entraîner dans quelque piège, peut-être était-ce un crime odieux qu’on allait exiger de lui. Pompeo n’avait plus d’arme cependant.

— Eh bien ! reprit l’homme, j’attends ta réponse !

— Monseigneur, dit Pompeo, s’arrachant alors à sa rêverie silencieuse, je suis prêt. Seulement je mets une condition à cette passive obéissance.

— Laquelle ? voyons, parle.

— Monseigneur, poursuivit l’Italien, il s’agit, je le vois, de quelqu’un que vous haïssez ; je me trompe… de quelqu’un qui hait Son Éminence.

— Peut-être…

— Eh bien, monseigneur, service pour service… Moi aussi, je hais quelqu’un.

— Qui peux-tu haïr, Pompeo ? demanda le masque.

— Monseigneur, je vais vous le dire. L’homme que je hais je le hais depuis quinze ans.

— Quinze ans ! as-tu dit. Voilà en effet de la haine. Quelle vengeance ou quel amour survit, Pompeo, à quinze années ?

— Monseigneur, reprit Pompeo, on voit que vous n’avez jamais haï ou aimé.

Le masque garda le silence.

— Lorsque vous saurez ce que m’a fait cet homme, poursuivit Pompeo, vous comprendrez peut-être que je désire me venger. Il y a quinze ans, cet homme habitait l’Italie comme moi. Cependant, ce n’était pas un Italien : il était né sur le territoire français. Je n’étais pas alors le triste Pompeo que vous paraissez connaître. Au lieu de ces vêtements mi-