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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

doit vous emmener de ce couvent ; demain, vous devez être la femme d’un autre ! Ah ! quoi qu’il arrive, le cœur de Pompeo ne battra jamais que pour vous ; ah ! oui, vous serez ma sœur, et permettez-moi que je vous donne ce nom !

Elle avait tressailli à celui de l’homme que sa famille lui imposait. C’était un vieillard altier et dur, qui, tout en se mêlant d’intrigues politiques, se faisait gloire d’une vie de mollesse et de désordres. Contempteur hardi des choses saintes, il ne comprenait pas qu’on pût s’agenouiller dans un cloître, avec des soupirs ou des remords, les flambeaux de l’orgie éclairaient encore son front chauve, sa moquerie n’épargnait guère que lui-même. Il aimait à s’entourer de gens corrompus et avilis.

S’unir à un pareil homme effrayait celle que j’aimais ; cédant à mes prières, à mes larmes, elle prit le parti que lui offrait la nécessité, celui de la fuite. Nous errâmes six mois, changeant de ville comme des proscrits, nous cachant de tous, pleurant ensemble, sans songer que les pleurs, ce nœud électrique des âmes, fondent les sympathies indestructibles. Le peu de ressources échappées à ma ruine se vit bientôt consumé, il fallait que je m’en procurasse de nouvelles… Une bande de condottieri venait alors de se former à quelques lieues de la frontière de France ; ces hommes me proposèrent secrètement d’être leur chef. La liberté de l’Italie se trouvait menacée : la guerre s’allumait dans la Valteline. On connaissait ma résolution, les promesses ne tardèrent pas à m’éblouir. Celle qui m’accompagnait et dont je ne pouvais consentir à me séparer, reçut la confidence de mes projets ; elle s’y opposa avec toute l’énergie de la passion, de la crainte. Elle me représenta les dangers, les trahisons qui allaient m’atteindre. Je lui répondis par le tableau affligeant de sa misère. Devait-elle ainsi souffrir sans se plaindre ? ne pouvais-je donc la secourir ? Elle ne consentit qu’avec peine à me voir entamer des négociations occultes ; je sortais souvent, quelquefois j’étais absent plusieurs jours. En rentrant au logis, je la trouvai une fois tout en