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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

« Alors le serpent jeta de sa gueule après la femme comme un fleuve pour l’entraîner et la submerger dans ses eaux[1].

» Mais la terre aida la femme, et s’étant entrouverte, elle engloutit le fleuve que le dragon avait vomi de sa gueule. »


Sur le revers du papier où étaient écrites ces maximes, Paquette lut aussi les lignes suivantes :

« Et moi, Seigneur, que suis-je pour me faire ici votre prophète, votre apôtre ? Rien, qu’une herbe vile, impie, sacrilège ! Ma bouche n’a point appris à murmurer vos louanges, ma lèvre ne vous a point pressé. Mon pied a glissé dans le sang sur les marches de votre autel, ma main a frappé vos serviteurs. Je n’ai pas le droit de revenir encore. À vous de me dire : Entendez-moi ! Protégez, du moins, cette faible enfant, veillez sur elle, sur son cœur ! N’y a-t-il donc que moi pour l’avertir et pour la sauver de cet homme ? Que ces lignes d’un ami parviennent à l’éclairer, qu’elle les lise un jour sous l’aile des saints anges ! Oh ! serais-je donc séparé d’elle éternellement ! »

En relisant cet écrit, la jeune fille éprouva un trouble singulier ; ses yeux se voilèrent, la sueur mouilla ses tempes. Elle se ressouvenait vaguement de s’être assise un soir sur l’un des bancs de la cour dite du Fer-à-Cheval, sans doute à cause de la forme circulaire que retraçait cette partie de la prison, plantée d’acacias et de sapins sombres. Sur ce banc, Paquette avait oublié son livre de fleurs, et le lendemain, en venant le reprendre, elle n’avait pas songé à l’ouvrir. Depuis ce temps, l’herbier avait reposé sur l’une des planches de sa modeste cellule, comme un livre oublié ou délaissé ; d’ailleurs il était rempli. Seulement elle se rappelait avoir vu fuir à travers les allées sombres un homme singulier, au moment où elle venait rechercher ce

  1. Vers. 15, chap. xi.