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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Quelques lignes plus bas, Paquette lut d’autres paroles qui l’alarmèrent :

« La maison de votre père est loin d’être sûre. Le bruit court qu’il sera forcé tôt ou tard de se représenter devant la chambre de justice. Si vous voulez fuir, mon carrosse est à vos ordres. À défaut de mon hôtel, où vous seriez libre, il vous conduirait dans l’une de mes terres. Songez-y, Paquette, il faut à tout prix que je vous voie. Adieu, confiance et discrétion. Je vous aime encore plus qu’à Pignerol. »

Le nom de Lauzun fermait cette lettre, comme son trait le plus brillant. En voyant ce nom, Paquette rougit et pâlit le papier du comte brûlait ses mains, elle le laissa glisser sur le parquet, elle eut peur.

En ce moment aussi, ses yeux enrayés s’arrêtèrent comme par une force invincible sur un grand portrait de femme qui pendait au mur ; elle ne se souvint pas d’avoir encore fixé cette toile chez le financier.

C’était une jeune fille d’un aspect si ravissant, que Paquette eût d’abord une répugnance jalousa à croire que cette figure pût être un portrait, elle la prit pour une tête de fantaisie.

L’azur limpide du ciel était seul comparable aux yeux de celle que représentait le tableau, son front pur et légèrement bombé défiait le ciseau du sculpteur, par sa beauté ; ses cheveux voltigeaient comme si le génie de l’air fût venu lui-même les dénouer ; elle tenait d’une main son arc, et de l’autre ses chiens en laisse, suivant la mode allégorique des peintres du temps, qui faisaient de chaque femme Minerve ou Diane, Junon ou Vénus, Bellone ou Cybèle. La peau d’une panthère, qu’une agrafe d’or rattachait à son épaule, tranchait sur la blancheur de son cou et de ses bras. Noyé dans les flots d’or d’un superbe soleil couchant, le paysage s’étendant autour de cette figure semblait la dorer lui-même de reflets magiques. On eût dit de la jeunesse dans tout l’éclat de sa force, de la beauté dans toute la grâce de ses lignes. Paquette observait cette toile dans une