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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

vous connaissiez, il devient presque cacochyme. Qui redouteriez-vous ? l’envie ! écrasez-la, mon cher comte, oh ! point de pitié, arrachez le masque à tous ces visages, et donnez-vous là un ballet digne de Molière ! Si je ne vous aide pas dans l’exécution, du moins vous ne me bannissez pas, je pense, du lieu de la scène ! Je vous laisse, et vous souhaite bonne chance.

Barailles sortit en se frottant les mains. Barailles était l’ami, le séide de Lauzun il n’eût pas souffert qu’il disparût injustement d’un monde où son éclat rejaillissait jusque sur lui.

— Il triomphera comme de coutume, se dit-il, je ne sait pas trop ce qu’il rumine, mais qui peut le définir ?

Barailles sorti, Lauzun examina avec une singulière attention la pièce où il se trouvait…

C’était l’ancien boudoir de la duchesse de Fornaro, dont le comte avait fait rajeunir l’ameublement et les dorures. Cette pièce, en forme de rotonde, était au fond le plus reculé de l’hôtel ; la tapisserie en dissimulait les portes avec une rare habileté. C’était le lieu chéri de Lauzun, les ornements en avaient été finis de la veille ; on y trouvait de tout, hors des poignards, on y respirait un air attiédi et enivrant.

Sur de magnifiques étagères traînaient des flacons de prix, des bagues, des éventails ; ces écrins charmants étaient chaque soir renouvelés. Lauzun, sûr d’être seul, tira d’une boîte en cristal de roche une pastille légère qu’il présenta à la bougie, son évaporation répandit dans le boudoir une fumée douce, onduleuse… Le comte était ce jour-là plus beau que jamais ; il avait mis à sa toilette un soin réfléchi, on eût dit vraiment qu’il s’était paré pour aller à la belle messe aux Feuillants ou aux Minimes. Il jeta de nouveau les yeux sur la pendule, et s’approchant du milieu de la pièce avec précaution, il frappa du pied légèrement sur le parquet.

À ce frappement, une porte s’ouvrit.