Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome2.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
205
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

réfugier dans le mensonge, un coupable niant la faute sur laquelle vingt ans avaient passé. Tremblante, indécise, elle sentit ses forces chanceler à l’idée seule de le perdre. Mais des voix impérieuses parlaient trop haut dans son cœur, mais son père outragé, Leclerc expirant sous les mêmes fers qu’il avait portés, repassaient sinistres et menaçants sous ses yeux.

— Avant quatre jours, dit-elle à l’envoyé du vieillard, j’aurai satisfait aux mouvements de mon cœur, monsieur, j’aurai, je l’espère, sauvé la vie de M. Leclerc. Dites-lui de ma part que je n’épargnerai rien ; il a ma promesse, le ciel me sera en aide.

En prononçant ces paroles, mademoiselle Fouquet rappela en elle-même toutes ses forces, la comtesse la regardait. Elle parvint encore à soustraire ce secret à ses instances, madame de Lauzun ne la pressa plus ; elle était loin de soupçonner ce qu’allait tenter ce noble cœur. La vie d’une personne qui tenait au surintendant paraissant à la comtesse une chose grave, elle se tut. Quand mademoiselle Fouquet fut rentrée dans sa chambre, elle se demanda si c’était bien elle qui venait d’avoir tant de fermeté et de courage. Sa résolution était bien prise, elle verrait enfin ce fier Lauzun, elle lui parlerait de son passé, à cet homme que le présent occupait à peine. Il avait connu son père quand le vent de la faveur le soutenait, il ne le renierait pas quand un cœur ulcéré jetait l’insulte à sa tombe. En un mot, c’était un duel, un duel périlleux qu’elle acceptait. Qu’importent les obstacles ? devait-elle s’y arrêter ? Elle passa le reste de la journée à relire des lettres de sa mère, des lettres de Fouquet, où, quand elle était petite, ce père tombé de si haut lui parlait de Dieu. Mille idées romanesques accoururent à l’appui de cette résolution, l’idée de changer Lauzun, et de le rendre enfin à sa mère digne d’elle, de sa tendresse, transporta cette âme qui se sentait née pour les grandes choses.

Quand le soir tomba, quand la large grille de l’hôtel Lau-