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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Henri avec un soupir, l’ai-je seulement connue ? n’est-elle pas morte le jour fatal où je suis né ? Ah ! depuis ce jour, je brûle de me donner à quelqu’un, à quelqu’un qui me rappelle au moins ma mère ! Ce qu’elle m’eût demandé, vous allez peut-être me le prescrire, vous si bonne, si généreuse parlez, oh ! je vous écoute !

Mademoiselle Fouquet tressaillit à ces paroles du jeune homme ; elle pâlit, hésita. Henri venait d’invoquer le souvenir de sa mère, et, les yeux fixés sur cette image, la jeune fille se sentit faiblir elle-même à l’idée de ce qu’elle allait proposer au fils de Leclerc. En ce moment même, moment de doute et d’angoisse, son regard tomba sur la lettre de Lauzun.

Le billet du comte reposait sur la cheminée auprès du bouquet, à demi caché par un ouvrage en tapisserie. Il s’en exhalait pour la jeune fille un parfum bizarre, tentateur ; on eût dit de ces arômes périlleux du mancenillier qui fascinent et qui endorment. Mademoiselle Fouquet, cette fois, parut elle-même à Henri sous un aspect tout nouveau ; sa parole était brève, son sein oppressé ; elle le regardait d’un air d’alarme et de défiance. Allait-il rester au-dessous de son opinion ? pâlirait-il devant ce qu’elle allait lui demander ? Elle lui prit la main pour s’assurer qu’il ne tremblait pas, et laissant tomber sur lui de sa prunelle un rayon perçant, elle lui dit :

— Henri, écoutez-moi, vous me répondrez après. Si, malgré les torts de votre père envers vous, torts cruels, affreux, on venait vous dire : Il se meurt, il n’a plus qu’une heure à vivre ; cette heure suprême, il a voulu vous la consacrer ; il se repent enfin d’avoir été envers vous dur, égoïste, injuste ; il ne veut pas mourir sans vous avoir embrassé, béni sur son cœur, sa main tremblante dans la vôtre, son regard fixé sur votre regard, vous demandant pardon, lui, votre père, de vous avoir méconnu, vous offrant, devant Dieu, sa mort en expiation, refuseriez-vous d’aller à son chevet, de vous jeter à ses pieds, de lui épargner vous-