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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

fut avec M. de Richelieu que Charlotte de Mazarin s’enfuit du couvent où elle était renfermée ; elle l’épousa en Angleterre. « Le marquis de Richelieu, écrit madame de Sévigné[1] à Bussy, a épousé mademoiselle de Mazarin. Elle court avec son amant, qui, je crois, est son mari, pendant que son père va consulter s’il doit marier sa fille. Le moyen de ne pas perdre patience avec un tel homme ! »

Le marquis et la marquise de Richelieu habitèrent l’hôtel vendu par Lauzun pendant vingt-quatre ans, de 1685 à 1769. Madame de Richelieu aimait et recherchait à la folie tout ce qu’on appelle aujourd’hui curiosités. Les meubles dorés, les riches pendules, les armoires de Boule, les vases du Japon encombraient alors son hôtel, et dans un almanach publié en 1691 et 1692, l’auteur, après avoir donné la liste des fameux curieux des ouvrages magnifiques, donne comme complément celle des dames curieuses, dans la-

    mariage avec la belle Hortense de Mancini, nièce et principale héritière du cardinal. M. de Mazarin avait sur toutes choses des idées si extraordinaires, que sans la considération qu’avait conservée le roi pour tout ce qui tenait au cardinal, il aurait été certainement interdit. Ceux qui douteraient de ses extravagances n’ont qu’à consulter Saint-Simon, les œuvres de Saint-Évremond et les règlements faits par M. de Mazarin pour ses terres. Sa femme, ennuyée de ses folles exigences, avait fini par perdre patience, et après avoir parcouru l’Italie, elle s’était fixée en Angleterre. Lorsqu’elle mourut, en 1699, après avoir fini par mener une existence gênée, elle qui avait apporté à son mari une fortune de vingt millions (qui en valaient plus de cinquante aujourd’hui), son corps fut saisi par ses créanciers. Son mari qui n’avait pas rougi de lui retirer sa misérable pension de vingt-quatre mille francs qu’il lui avait d’abord faite, se piqua bien tardivement d’honneur, et il dégagea son corps. Il le fit embaumer et l’emportait avec lui dans tous ses voyages. — Voyant ses filles croître en âge et en beauté pendant l’absence de leur mère, il réfléchit aussi qu’elles donneraient aux hommes bien des désirs coupables, et pour y remédier, il eut l’idée de leur faire arracher toutes les dents. Il y avait là de quoi refroidir les amoureux ; par bonheur cette belle idée ne fut pas mise à exécution. (Voyez Saint-Évremond, 1758.)

  1. Lettre à Bussy, en date du 23 décembre 1682.