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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

demoiselle de Retz. Il fut jeune, brillant, il| retrouvait d’un seul coup ses amours et ses duels.

— À merveille, pensa-t-il, je ne ferai pas ma rentrée comme un acteur ordinaire. Pourvu que demain au petit lever, on n’aille pas trop me noircir aux yeux du roi ! Il est certain que la marquise d’Alluye me voit ici d’un œil plus indulgent que les autres. Si l’on pouvait mordre du regard, madame de Roquelaure m’aurait déjà dévoré. Tout de même, c’est là une invention originale. Je pourrais passer au besoin pour un véritable revenant. Le bal que je me donne à moi-même est un bal délicieux ! Avoir rassemblé ici, en quelques jours, grâce aux soins de Barailles qui s’y entend, tout ce que la ville et la cour possèdent de brillant, de noble ; m’être composé de la sorte un bouquet dont tous les parfums me sont connus ; pouvoir écrire un nom sur chacun de ces visages que j’ai attirés dans ce guet-apens splendide ; me remontrer à tous plein de vie, dé verve caustique ; marcher avec ces courtisans que je force me toucher la main de bonne grâce et à me parler comme autrefois de chevaux, de rubans et de dentelles, si ce n’est pas là un rêve magique, inouï, que ce rêve conçu sous les verroux de Pignerol ! Victoire, Lauzun, victoire ! Cette heure de minuit qui vient de sonner avec son battant d’argent te rouvre enfin les portes de ce monde merveilleux ! Oui, te le courroux du roi devra fléchir ; oui, la chance te revient, heureux joueur ; va, relève ton front, le succès seul nous fait jeune ! Regarde plutôt, regarde en ce moment-ci autour de toi, hommes te détestent mais ils t’envient, les femmes prennent à ta vue un air troublé, inquiet. Jeunesse, beauté, splendeur, coups d’œil complaisants, oreilles faciles, mains qui tremblent, voix qui implorent, tout cela est devant toi ! Oui, tu ressembles à l’homme qui s’éveille d’un long sommeil, ou plutôt, Lauzun, te voici comme le soldat qui ressaisit à la fois sa place et ses armes ! La guerre sera rude, elle doit l’être, une guerre de dix-neuf ans ! Tous ces cœurs, tu le sais, sont remplis de trahisons, de basses-