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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

sacré, j’irai remercier le plus vieil ami de ma famille. En attendant, songez, mon cher Leclerc, à tous les périls qui pourraient menacer une aussi chère existence ; protégez cette enfant, et comptez à l’avance sur l’étendue de ma gratitude.

 » Signé : Charles de Saint-Évremont. »

Et plus bas : « Poète et maréchal de camp du roi. »

La lecture de cette lettre plongea le financier dans un cruel embarras. Se charger d’une jeune fille au milieu de ses tracas habituels lui semblait d’un côté un lourd fardeau, mais de l’autre Saint-Évremont invoquait ses souvenirs. Entré de bonne heure dans les partis, Leclerc avait dû beaucoup à la protection de Fouquet et de ses amis ; celui qui lui écrivait était du nombre. Toutefois, Leclerc, à la seule lecture du nom de Fouquet, avait réprimé un mouvement fébrile et singulier ; on eût dit alors, au tressaillement nerveux qui l’agitait, que ce nom rouvrait en lui d’anciennes blessures. La vue de la belle enfant qui lui présentait la lettre dissipa à peine cette impression, le mystère qui l’entouiait n’était pas fort de son goût. Ne pouvant lui demander son nom, il voulut savoir du moins d’où elle venait.

Une vive rougeur colora les joues de la jeune fille à cette question ; elle balbutia et finit par se troubler.

— J’ai tort, je le vois, de vous demander votre secret, se hâta de dire Leclerc avec plus de douceur, en l’invitant à prendre place à son couvert, et en même temps il fit signe à dame Ursule de se retirer.

La jeune fille que Leclerc avait devant les yeux releva le front avec une assurance modeste. Elle avait seize ans, et la singulière douceur de ses traits, le charme pénétrant de sa voix, la noblesse de son caractère frappèrent le vieux partisan ; sa nature délicate excluait l’idée d’une fille du peuple, si ses ajustements humbles et simples n’annonçaient pas en revanche une fille noble. Elle était vêtue de noir comme si elle portait le deuil, et ce costume rigide