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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

dence ! autant valait pour toi en ce moment te recommander du diable !

— C’est ce que je compris, monsieur, en voyant la mine furibonde des deux personnages. Tous deux sortaient alors d’une allée directement opposée. Que leur aviez-vous fait ? je l’ignore, mais ils paraissaient vouloir me manger. Le duc de Roquelaure, surtout, qui, vous le savez, n’est pas beau, la colère le rendait encore plus laid. Pour M. le prince de Monaco, il était pourpre. Ils m’ont tourné le dos rien qu’en me voyant, et se sont abordés tous deux avec une mutuelle fureur.

Lauzun éclata de rire.

— Je le crois bien, reprit-il. Alors, qu’as-tu fait ?

— Eh parbleu, les gardes de la prévôté m’ont emmené, et je n’ai pu savoir la suite de leur conversation, à mon grand regret. J’ai attendri les gardes de la prévôté avec une chopine. Aidé par eux, j’espérais trouver notre mystérieux second de Pignerol ; mais il m’a fallu y renoncer. Pour comble de malheur, je m’en vais hier à l’Arsenal, et qu’est-ce que je rencontre sur l’esplanade ? monsieur le duc de Roquelaure et le prince de Monaco. Ils ne se quittent plus ; ils se prennent la main, ils lèvent les yeux au ciel. À mon seul aspect, ils ont froncé le sourcil. Enfin, monsieur le comte, vous me croirez si vous voulez, ces deux hommes-là sont vos ennemis ; et tenez, pas plus tard que ce matin, le duc de Roquelaure a passé deux fois en chaise devant votre hôtel, en regardant vos fenêtres.

— Tu m’en fais souvenir, parbleu ! je l’attends déjeuner.

— Quoi ! ce serait pour lui que vous m’auriez commandé ce fin repas ?

— Pour lui-même, cher Barailles. Je lui ai écrit hier : ne faut-il pas bien que je jouisse de mon triomphe !

— De quel triomphe voulez-vous parler ?

— Du mien, Barailles, du mien, ou plutôt de ma vengeance, dit Lauzun. Tu n’ignores pas que malgré sa laideur,