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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Mon cher comte, reprit Roquelaure, vous m’avez invité à déjeuner, je suis prêt, j’ai un appétit d’enfer.

— Pourtant aujourd’hui vous n’êtes point allé, que je sache, vous promener à Vincennes, mon cher maréchal ? demanda Lauzun ironiquement.

— Non, mais je me suis promené avec mon ami le prince de Monaco, mon cher comte ; c’est un homme d’or, et, qui plus est, un de vos amis, j’en réponds.

Lauzun tomba de son haut.

Roquelaure continua :

— Mon Dieu que votre chambre est d’un goût relevé, mon cher comte, que cette ruelle est bien tendue ! Au sortir de Pignerol, ce sont là des féeries qui nous surprennent. Ah çà, je vous en conjure, vous déjeunerez avec moi en robe de chambre. Ce n’est pas avec un ancien ami… car je suis le votre, oh ! oui, et je ne le cède en rien pour ceci au prince de Monaco…

— Ma foi, pensa Lauzun, à la bonne heure ; il prend bien les choses, celui-ci. Mais jouons serré, c’est un fin renard.

Tous deux passèrent alors dans la pièce où était servi le déjeuner. Il n’y fut question entre eux que des bruits de. la cour et de la ville, pas un mot des lettres de la maréchale et de la princesse ; cette fois Lauzun commençait à se trouver sur les épines.

Il voulait mystifier Roquelaure, était-ce donc le duc qui allait le mystifier ?

La position de Lauzun se compliquait : il avait reçu la veille de la maréchale et de la princesse un billet conçu à peu près dans les mêmes termes ; on y faisait appel à sa générosité de gentilhomme, on lui réclamait une correspondance qui pouvait compromettre ses deux auteurs. La princesse de Monaco avait été distinguée par Louis XIV, madame de Roquelaure avait autour d’elle des parents peu enclins à l’indulgence. Lauzun avait promis à ces deux dames de faire une chose qui n’était déjà plus en son pou-