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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

bien qu’à cette peau blanche et satinée, à ces cheveux fins et lissés, à cette lèvre dédaigneuse, à ce désir absolu d’isolement, elle eût soupçonné bien vite dans mademoiselle Leclerc l’héroïne d’une aventure romanesque. Arrivée au couvent depuis le matin, elle n’y avait parlé à qui que ce fût, elle parut heureuse que quelqu’un l’y demandât.

Au nom de M. Lecamus, elle réprima cependant un mouvement léger de répugnance et de frayeur. Puis, quand elle eut aperçu au parloir le personnage caduc vers lequel la supérieure l’amenait, elle fut prête à lui rire au nez.

C’est qu’en vérité il ne s’était rien vu de plus grotesque que la toilette de Lauzun, l’habit noir de Barailles et ses hauts-de-chausses de velours râpé étant bien dignes de lutter avec le justaucorps de l’Avare de Molière. Trop petit pour la taille du comte, cet équipement fané en faisait une longue caricature. Mademoiselle Leclerc, ou, pour mieux parler, Paquette, lui fit cependant une révérence qu’elle tâcha de rendre sérieuse.

— Vous venez, sans doute, monsieur, lui demanda-t-elle, me conduire à la personne dont mon père a dû invoquer l’appui ?

— Précisément, mademoiselle, c’est à cette personne… répliqua le comte jouant l’assurance.

— Il vous a dit son nom, vous la connaissez ? on la dit si bonne ! Concevez-vous seulement qu’il m’ait refusé de m’apprendre qui elle est ?

— Une surprise qu’il vous ménageait, mademoiselle, ce bon, cet excellent père ! Ah ! c’est qu’il n’a consenti qu’à grand-peine à se séparer de vous ! Il y a dix ans que nous ne nous étions vus ; mais il connaît son ami Lecamus, il sait que les plus purs sentiments…

Mademoiselle, ajouta le comte, ce n’est qu’après de mûres réflexions que je me suis décidé à m’embarquer dans une affaire aussi délicate. Leclerc m’a constitué votre tuteur ; je réponds de vous dès que vous aurez passé le seuil de cette sainte maison. Cette digne supérieure eût bien mieux que