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LETTRES SUR ANDRÉ CHÉNIER

après avoir écrit la première moitié de son vers :

Le désespoir, le fiel

Tout à l’heure cette pensée lui reviendra, et au contraire trouvant dans ce désespoir et dans ce fiel la seule raison morale qui lui reste de ne pas déserter la lutte, il s’écriera, dans un mouvement d’une poignante éloquence :

O ma plume, fiel, bile, horreur, dieux de ma vie,
Par vous seuls je respire encor !

Mais avant de sentir se ranimer en lui l’énergique désir de vivre et de punir, il s’abandonne à un instant de défaillance, et modifiant la première rédaction de ce passage il le corrige ainsi :

La peur blême et louche est leur Dieu ;
La bassesse, la honte. Ah ! lâches que nous sommes !
Tous, oui, tous. Adieu, terre, adieu.

C’est-à-dire : et moi aussi la peur, la bassesse et la honte sont mes dieux, car je n’ose frapper les tyrans. Le développement successif de la pensée d’André Chénier n’a plus rien, il me semble, ni d’obscur ni d’embarrassant. Il me reste à lever pour vos yeux la difficulté du manuscrit.

Je ne reviens plus sur ces mots le désespoir, la bassesse qui forment variante. Après cette double exprès—