Page:Bedier - La Chanson de Roland.djvu/229

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bataille. En gage, donnez-lui ployé ce gant paré d’or et qu’il en gante son poing droit. Et portez-lui ce bâtonnet d’or pur, et qu’il vienne à moi pour reconnaître son fief ! J’irai en France pour guerroyer Charles. S’il n’implore pas ma merci, couché à mes pieds, et s’il ne renie point la loi des chrétiens, je lui enlèverai de la tête la couronne. » Les païens répondent : « Sire, vous avez bien dit. »

CXCIV

Baligant dit : « Barons, à cheval ! Que l’un porte le gant, l’autre le bâton ! » Ils répondent : « Cher seigneur, ainsi ferons-nous ! » Tant chevauchent-ils qu’ils parviennent à Saragosse. Ils passent dix portes, traversent quatre ponts, longent les rues où se tiennent les bourgeois. Comme ils approchent, au haut de la cité, ils entendent une grande rumeur, qui vient du palais. Là s’est amassée l’engeance des païens qui pleurent, crient, mènent grand deuil : ils regrettent leurs dieux Tervagan, et Mahomet, et Apollin, qu’ils n’ont plus. Ils se disent l’un à l’autre : « Malheureux ! que deviendrons-nous ? Sur nous a fondu un grand fléau : nous avons perdu le roi Marsile ; hier le comte Roland lui trancha le poing droit ; et Jurfaleu le blond, nous ne l’avons plus. Toute l’Espagne tombera désormais en leur merci ! » Les deux messagers mettent pied à terre au perron.