Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/107

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avait tout perdu. C’est une drôle de chose tout de même que les caprices des femmes ! c’est à s’y perdre.

— Encore mon histoire, reprit Haley. Pas plus tard que l’été dernier, sur la rivière Rouge, j’achète une fille et son enfant, un marmot de bonne mine, avec des yeux aussi brillants que les vôtres. — Hé bien, n’était-il pas aveugle ? mais, tout à fait aveugle ! — Motus, bien entendu, et je vous le troque joliment contre un baril d’eau-de-vie. Mais, quand il fut question de l’ôter à la mère ; oh, c’était une vraie tigresse ! Par malheur ça se trouvait avant le départ, et ma bande n’était pas encore à la chaîne. La femme n’en fait ni une ni deux, elle arrache un couteau à un des matelots, saute comme un chat sauvage sur une balle de coton, et met tout notre monde en fuite. C’était bon pour la minute, bien entendu. Quand elle voit ça, elle se retourne, et, pan ! elle s’élance, la tête la première, enfant et tout, dans la rivière, où elle est encore.

— Bah ! dit Tom Loker, qui avait écouté avec un évident mépris ; vous n’êtes tous deux que des poules mouillées ! Mes filles ne se permettent pas de pareils tours avec moi !

— Vrai ? et comment les en empêchez-vous, je vous prie ? demanda Marks vivement.

— Moi ? quand j’achète une fille, dès que son petit est mûr pour la vente, je vais droit à elle, je lui mets le poing sous le nez : — Regarde-moi ce poing, lui dis-je. Si tu t’avises de souffler, tu vois ce qui t’aplatira la face. Je ne veux pas entendre un mot, — pas le commencement d’un mot. Ce petit est à moi, non à toi, et tu n’as que faire de t’en inquiéter. Je le vends à la première occasion. Prends garde ! pas de farces ! où je te ferai souhaiter de n’être jamais née. Je vous garantis qu’elles savent qu’il ne s’agit pas de rire quand j’empoigne, et je vous les rends muettes comme des poissons. S’il s’en trouve une qui piaille un brin, alors !… » Le poing de M. Loker,