Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/127

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qu’il s’agit. L’émotion gagne de proche en proche, et il faut bien sacrifier nos sympathies particulières.

— Je n’entends rien à toute votre politique, vous le savez de reste, John ; mais je puis ouvrir ma Bible, et j’y lis qu’il faut nourrir celui qui a faim, habiller celui qui est nu, consoler celui qui pleure, et c’est à ma Bible que je m’en tiens.

— Mais si, en agissant ainsi, vous provoquez de grands malheurs publics ?

— Obéir à Dieu ne peut amener de mal pour personne ; et, de quelque façon que les choses tournent, le plus sûr c’est de faire ce qu’il nous commande, lui !

— Écoutez un peu, Marie, et, par les arguments les plus clairs, je vous prouverai…

— Eh ! laissez-moi tranquille, John ! vous parleriez toute la nuit que vous ne me prouveriez rien. J’en appelle à vous-même ! Est-ce vous qui repousserez de votre porte une pauvre créature tremblante, affamée, mourante ! et cela parce qu’elle est sans asile ? vous, John ! »

S’il faut l’avouer, notre sénateur était d’un naturel humain : l’acte de repousser des malheureux n’entrait nullement dans ses habitudes, et l’argument de sa femme avait d’autant plus de force qu’elle connaissait ce point vulnérable. M. Bird eut donc recours aux moyens connus de gagner du temps : Hem ! Hem ! répéta-t-il plusieurs fois ; il toussa, tira son mouchoir, et se mit à essuyer les verres de ses lunettes. Voyant l’ennemi lâcher pied, madame Bird poursuivit ses avantages.

« J’aimerais à vous y voir, John, réellement je l’aimerais. Vous voir jeter dehors une femme au milieu d’une tempête de neige, par exemple, ou bien l’envoyer en prison, n’est-ce pas ? cela vous irait !

— Il y a de très-pénibles devoirs… reprenait M. Bird d’un ton calme, mais sa femme l’interrompit.

— Devoirs, John ! ne prononcez pas ce mot ! Ce n’est pas, ce ne peut être un devoir, vous le savez à merveille.