Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/311

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— Quelle iniquité ?… ces misérables ont fait mourir Prue sous le fouet ! » Et elle commença le récit avec vivacité, en insistant sur les détails.

« Je pensais que cela finirait ainsi un jour ou l’autre, dit Saint-Clair, continuant de lire son journal.

— Vous le pensiez !… et n’allez-vous pas faire quelque chose ? N’y a-t-il pas des magistrats qui puissent intervenir, faire une enquête ?

— On suppose généralement que l’intérêt du propriétaire est une garantie suffisante pour la propriété. S’il plaît aux gens de se ruiner, je ne sais trop qu’y faire. Il parait que la pauvre créature s’enivrait et volait, ce qui ne contribuera pas à exciter les sympathies en sa faveur.

— Mais c’est infâme ! — c’est odieux, Augustin ! cela crie vengeance contre vous !

— Ma chère cousine, je n’y suis pour rien, et n’y puis rien. La chose eût-elle dépendu de moi, je l’aurais empêchée. Si des gens bornés et brutaux suivent leurs instincts grossiers, que voulez-vous que j’y fasse ? Ils ont un pouvoir absolu : ce sont des despotes irresponsables. À quoi servirait d’intervenir ? Il n’y a pas de lois applicables à de pareils cas. Le mieux est donc de fermer les yeux et les oreilles, et de laisser passer. C’est l’unique ressource qui nous reste.

— Comment pouvez-vous fermer vos yeux et vos oreilles ? Comment pouvez-vous laisser passer de pareilles choses !

— Ma chère enfant, comment espérer mieux ? voilà toute une classe avilie, irritante, indolente par nature, livrée, sans contrat ni conditions, aux mains de ceux dont se compose la majorité de notre monde : gens peu scrupuleux, sans nulle habitude de se dominer, qui ne sont pas même éclairés sur leurs propres intérêts, — et c’est le cas de la plus grande moitié du genre humain. Dans une république ainsi organisée, que peut faire un homme d’honneur, sinon fermer les yeux tant fort qu’il peut, et