Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/314

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désespérante ! Rien que d’y penser, m’énerve, me tue presque !

— Mais il s’agit d’un sujet grave, mon cher enfant, mon Auguste, reprit miss Ophélia posant sa main sur le front du jeune homme.

— Dites lugubre ! et je ne peux jamais parler sérieusement quand il fait chaud. Avec les moustiques et le reste, impossible de prendre l’essor vers les sublimes hauteurs de la morale. Mais, j’y pense, dit Saint-Clair se relevant tout à coup, voilà une théorie toute trouvée ! Je comprends maintenant pourquoi les peuples du Nord sont plus vertueux que ceux du Sud, — je saisis les causes et les effets.

— Oh ! Augustin, vous êtes un vrai brise-raison !

— Le suis-je ? eh bien, je l’admets. Mais, par extraordinaire, je veux être sérieux ; passez-moi cette corbeille d’oranges. — Si je fais cet effort, tenez-vous prête à me « faire revenir le cœur avec du vin, et faites-moi une couche de pommes[1]. » — À présent, dit Augustin en tirant à lui la corbeille, je commence : Lorsque, dans le cours des événements humains, un homme juge nécessaire de tenir captifs deux ou trois douzaines de ses semblables, vers de terre comme lui, une certaine déférence pour les préjugés de la société exige…

— Je ne vois pas que vous deveniez plus sérieux, dit miss Ophélia.

— Attendez ! j’y arrive. Vous allez voir. Le fait est, cousine, dit-il, sa belle figure prenant tout à coup une expression grave et réfléchie, que, sur cette question abstraite de l’esclavage, il ne peut y avoir, à mon sens, qu’une seule opinion. Les planteurs, qui en tirent de l’argent, — les hommes d’église, qui veulent plaire aux planteurs, — les politiques, qui s’en servent pour gouverner, — peuvent fausser la langue et plier la morale à

  1. Cantique des Cantiques de Salomon, ch 9, verset 5.