Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/316

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en usons encore d’une façon discrète. Moitié par pitié, moitié par honte, parce que nous sommes des hommes nés de femmes, et non des bêtes sauvages, la plupart d’entre nous ne se servent pas, — n’osent pas se servir du terrible pouvoir que nos impitoyables lois mettent entre nos mains. Celui qui va le plus loin, celui qui fait le pire, reste encore dans les limites que la loi lui assigne. »

Saint-Clair s’était levé, et cédant à son exaltation, il marchait à pas précipités. Son beau visage, d’une pureté de ligne grecque, brûlait du feu de l’indignation. Ses grands yeux bleus flamboyaient, et ses gestes se passionnaient à son insu. Miss Ophélia ne l’avait jamais vu ainsi ; elle le contemplait en silence.

« Je vous déclare, dit-il, s’arrêtant tout à coup devant sa cousine, — mais que sert de sentir, que sert de parler ? — je vous déclare qu’il y a eu des moments où j’ai pensé que si le pays venait à être englouti, avec toutes ses iniquités et toutes ses misères, je disparaîtrais de bon cœur avec lui. Lorsque, pendant mes tournées de propriétaire, pendant mes voyages sur les fleuves à bord de nos bateaux, j’ai rencontré quelque brute, ignoble, dégoûtante, indigne du nom d’homme, et que je me suis dit : Nos lois l’autorisent à devenir le despote absolu d’autant de créatures humaines qu’il en peut acheter avec l’argent du vol, de la fraude ou du jeu, — quand j’ai vu de pareils êtres en souveraine possession de faibles enfants, de jeunes filles, de femmes, — j’ai été tenté de maudire mon pays, de maudire ma race !

— Augustin ! Augustin ! vous en avez assez dit, certes. De ma vie je n’ai rien entendu de semblable, même dans le Nord.

— Dans le Nord, dit Saint-Clair changeant tout à coup d’expression, et reprenant son ton habituel d’insouciance. Pouah ! vos gens du Nord ont le sang glacé. Vous êtes froids en tout. Vous ne pouvez vous décider à maudire