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LA CASE DE L’ONCLE TOM

pourquoi. Il ne tient qu’à vous que j’en choisisse un autre, car le drôle mettait l’enchère sur Éliza.

— Le misérable ! s’écria madame Shelby avec véhémence.

— J’ai refusé de l’écouter, uniquement à votre considération, Émilie, et tout au moins pourriez-vous m’en tenir compte.

— Mon cher, dit madame Shelby en se recueillant, pardonnez-moi. Je vais trop loin. Mais j’étais si peu préparée, je m’y attendais si peu ! Laissez-moi de grâce intercéder pour ces pauvres créatures. S’il est noir, Tom n’en est pas moins loyal, moins fidèle ; c’est un noble cœur. Je crois, monsieur Shelby, que s’il lui fallait donner sa vie pour vous il n’hésiterait pas.

— Je le sais… j’en suis sûr. Mais à quoi bon tout cela ? je n’en puis mais, vous dis-je.

— Que ne faisons-nous quelques sacrifices d’argent ? je supporterai de bien bon cœur ma part de gêne. Ô monsieur Shelby, c’est de toute mon âme que je me suis efforcée de remplir mes devoirs de chrétienne envers ces pauvres gens si simples, si dépendants. Il y a de longues années que je m’y intéresse, que je les instruis, que je veille sur eux, que je partage et leurs petits soucis, et leurs naïves joies. Comment oser, désormais, paraître au milieu d’eux, si, pour l’amour d’un misérable lucre, nous allions vendre un serviteur sûr et dévoué, enlevant d’un seul coup à ce pauvre Tom tout ce que nous lui avions appris à estimer, à aimer ? Moi, qui leur enseignais les devoirs de famille, du père envers l’enfant, du mari envers la femme, comment supporterai-je l’aveu public, que ni droits, ni liens, ni relations, rien n’est sacré pour nous dès qu’il s’agit d’argent ? Moi qui ai tant causé avec Éliza de son enfant, de ses obligations, comme mère chrétienne, à une constante surveillance, à de tendres prières, à une éducation pieuse ! Qu’aurai-je à lui dire à présent, si vous le lui arrachez pour le livrer, corps et âme, à un