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CHAPITRE V.

servait à rien ; qu’il était endetté, et que l’homme avait prise sur lui ; que s’il ne lui payait tout, il faudrait vendre à l’encan et l’habitation, et nous tous tant que nous sommes. Oui, j’ai bien entendu, il disait : « Vendre ces deux ou les vendre tous ! Maître a dit qu’il était chagrin ; mais maîtresse ! ah ! il fallait l’entendre ! Si elle n’est pas une chrétienne et un ange, jamais il n’y en eut ni au ciel, ni sur terre. Je suis une méchante fille de la quitter, — mais je ne saurais qu’y faire ! — N’a-t-elle pas dit qu’une âme c’est plus qu’un monde ? — L’enfant en a une ; si je ne le sauve, qui sait ce que cette âme deviendra ? Ce que je fais doit être juste, et si ce n’est pas bien, que le Seigneur me pardonne, car je ne saurais faire autrement !

— Eh vieux ! dit tante Chloé, pourquoi pas fuir aussi ? Veux-tu attendre d’être roulé à la basse rivière, là où pauv’ nèg’ crève d’ouvrage et de faim ? j’aimerais mieux mourir qu’aller là. Vite, décampe avec Lizie ! tu as tout le temps, tu as ta passe[1] pour aller et venir ; dégage-toi donc, Tom. Je vas faire le paquet. »

Lentement Tom releva la tête, et promena autour de lui un long regard triste et résigné.

« Non, non, dit-il ; moi, je reste : Éliza s’en va, — elle a bon droit — ce n’est pas moi qui dirai non, — une mère doit partir. — Mais tu as entendu, femme ; s’il faut vendre Tom, ou que tout aille à ruine et à sac, qu’on me vende ! — j’en pourrai supporter autant qu’un autre peut-être ! » ajouta-t-il, et un soupir convulsif ébranla sa large poitrine. « Chaque fois que maître appelait Tom, Tom était là : il y sera encore. La passe appartient à maître ; je n’ai trompé maître jamais, je ne le tromperai pas aujourd’hui. Il vaut mieux vendre moi seul que perdre et vendre tout. Le maître n’est pas à blâ-

  1. Tout nègre trouvé à quelque distance de l’habitation peut être arrêté, s’il n’a sa passe ou une permission de circuler signée par son maître.